Où et comment la Russie passe en contrebande des céréales volées à l’Ukraine

Destruction de silos ou de terminaux portuaires, blocus de la mer Noire, vitale pour le transport de la production céréalière ukrainienne, vols massifs de machines agricoles…

La Russie est accusée depuis plusieurs semaines d’utiliser la faim et une crise alimentaire mondiale aux proportions peut-être bibliques comme une arme géopolitique pour soutenir l’invasion de son voisin.

La BBC a cherché à décortiquer les flux de cette production alimentaire que la Russie vole ou détourne de l’Ukraine pour son propre profit, et au grand dam d’un monde qui voit le « grenier de l’Europe » peiner à remplir sa fonction habituelle.

Elle a pris l’exemple d’un paysan ukrainien, pour l’occasion nommé Dmytro, qui a vu des troupes russes débarquer sur sa ferme pour s’emparer de tout. « Ils ont volé notre grain. Ils ont démoli nos installations. Ils ont détruit notre équipement »s’en plaint-il aux médias britanniques.

Des caméras de surveillance ont pu capturer le moment où l’armée russe a confisqué des camions de céréales. Ils ne le savaient pourtant pas, mais ceux-ci étaient équipés de puces GPS qui permettaient de les suivre en temps réel.

Les données semblent montrer que ces tonnes de céréales ont été acheminées vers la Crimée, qui est occupée depuis 2014, puis ont traversé le détroit de Kertch et sont arrivées en Russie.

Les images satellite compilées et analysées par la BBC montrent une intense activité routière dans la région, en particulier autour des installations de stockage de céréales. À un tel niveau, cela semble inhabituel, montrant que ce qui s’est passé avec l’opération Dmytro est largement reproduit dans l’Ukraine occupée par la Russie.

Couvrir les pistes

Qu’advient-il alors de ces grains mal acquis, volés ou parfois achetés à bas prix à des agriculteurs, qui sont contraints de signer un acte de vente pour donner au butin la vague apparence d’une transaction légale ?

« Ils emmènent d’abord le grain dans la Crimée annexée, où ils le chargent sur de petits navires dans les ports de Sébastopol ou de Kertch »explique Andrii Klymenko, analyste des études stratégiques pour la mer Noire, à Kiev. « De là, ils transportent ces charges vers de plus gros navires, où le grain se mélange au grain produit en Russie. Dans certains cas, ils ne naviguent vers cette zone que pour donner l’impression que le grain en question est russe.

Ainsi chargés en Crimée, qui selon les comparaisons de la BBC n’avait jamais connu une telle activité d’exportation de céréales avant la guerre, les navires quittant la zone ont une fâcheuse tendance à fermer leur système d’identification automatique (AIS), pourtant obligatoire selon les lignes maritimes internationales.

Des enquêtes officielles ou journalistiques, notamment celles du New York Times, ont tenté de retracer la route de certains de ces navires devenus fantômes. Celle de la BBC a considéré le cas de trois navires, le Matros Pozynicho et le Sormovski 48propriétés d’entreprises russes, ainsi que les Finikiaappartenant aux autorités maritimes syriennes.

Malgré les absences dues à la coupure de leur AIS, les navires chargés de céréales ont pu être retrouvés grâce aux images satellites. la Sormovski 48 a ainsi été vu dans deux ports turcs de la mer Noire, Karasu et Samsun, tandis que les autres ont été aperçus près du port de Lattaquié, en Syrie.

A partir de là, les pistes se déforment, le trafic peut continuer et la faim peut croître dans tous les pays dépourvus de cette production indispensable à la survie de leurs populations. Pour la Russie, la faim n’est pas seulement une arme de guerre : c’est aussi un commerce lucratif.