Il faudrait au moins 750 ans pour déminer l’Ukraine, malgré l’aide de drones… et de chiens

L’organisation non partisane et non gouvernementale Globsec, basée en Slovaquie, est formelle: la guerre russo-ukrainienne a fait de l’Ukraine le territoire miné le plus grand du monde, devant la Syrie et l’Afghanistan, ce qui est déjà en soi un petit exploit.

Chaque jour, des civils sont tués par des engins explosifs placés par l’armée russe et les services de déminage sont dépassés, comme le raconte une enquête du média en ligne indépendant russe The Insider. Environ un quart du territoire ukrainien (soit 174.000 kilomètres carrés) seraient aujourd’hui piégé et il faudrait aujourd’hui aux démineurs, au rythme actuel, précisément 757 ans pour le nettoyer et le sécuriser, d’après les estimations de Globsec. Plus optimiste, Ioulia Sviridenko, la ministre de l’Économie ukrainienne, évalue de son côté que «le déminage prendra soixante-dix ans avec les ressources actuelles de l’Ukraine».

Et si vous pensez que les mines sont posées tranquillement bien alignées dans des champs, vous vous trompez. Pratiquement tout peut être (et a été) piégé. Armes, munitions, nourriture, corps de soldats russes morts: tout est prétexte à planquer sournoisement un engin explosif.

Mykhailo Iliev, responsable de l’unité pyrotechnique du ministère ukrainien des Situations d’urgence dans la région de Tchernihiv (nord de l’Ukraine), témoigne: «L’armée russe place divers dispositifs improvisés dans les maisons résidentielles, les appartements et les propriétés privées. Ces dispositifs peuvent être découverts sur les portes, à l’intérieur des machines à laver, des réfrigérateurs, des jouets pour enfants, des berceaux et divers articles ménagers. Dans certains cas, même les ustensiles de cuisine ont été piégés. Le but est que ces dispositifs explosent lorsque quelqu’un les ouvre ou les déplace. Ils ont même piégé des animaux domestiques, entraînant leur mort ou servant de “surprise”. Tout cela est stratégiquement planifié, en supposant que les propriétaires reviendront chercher leurs chiens ou chats, et c’est à ce moment-là que les explosions se produisent.»

Un processus long et coûteux

Selon un rapport d’estimations de la Banque mondiale publié en mars 2023, il faudrait la somme considérable de 27,55 milliards de dollars (près de 26,1 milliards d’euros) pour déminer complètement le pays sur le créneau 2023-2033. Or, ce chiffre a été calculé le 24 février 2023 et il est fort probable qu’il soit désormais bien plus élevé… Le gouvernement ukrainien le sait et essaye déjà de sensibiliser l’opinion publique internationale à cet épineux sujet.

En Ukraine, de nombreuses personnes et organisations participent déjà au déminage du pays, des forces armées aux unités spéciales, en passant par des initiatives privées (locales ou internationales), qui se focalisent principalement sur la sécurisation des infrastructures civiles.

«Le principe directeur est de travailler dans les zones où les accidents sont les plus probables et celles où ils se produisent déjà», explique Alberto Serra, responsable du programme d’action antimines et désarmement au sein de l’organisation humanitaire Norwegian People’s Aid. L’armée, elle, se concentre avant tout sur le déminage de terrains et de routes permettant aux troupes de se déplacer.

Engins blindés, drones… et chiens

Pour déminer le pays, tous les moyens sont bons. Les sapeurs ukrainiens, ces soldats préposés à cette tâche périlleuse, emploient évidemment des véhicules blindés de déminage. Depuis une poignée de jours, l’armée ukrainienne peut même compter sur des M1150 Assault Breacher Vehicle (ABV), des chars de déminage américains dont la livraison n’a pas été officialisée, mais dont la présence sur le terrain a été révélée le 3 novembre.

Mais souvent, une inspection manuelle des démineurs est nécessaire. Leur équipement est fait de sondes, de détecteurs de métaux et aussi de drones à haute résolution qui fournissent des images essentielles du terrain, ainsi que des troupes ennemies.

Les chiens aident également les sapeurs engagés auprès du ministère ukrainien des Situations d’urgence, dans le déminage de certaines zones. Selon Alberto Serra, Norwegian People’s Aid dispose de quatorze chiens: «Je pense que nous sommes l’une des rares organisations à utiliser des chiens pour le déminage humanitaire. Nous les formons et les élevons nous-mêmes. […] Dans un pays comme l’Ukraine, qui a subi une industrialisation intense pendant de nombreuses années, voire des siècles, il y a beaucoup de métal dans le sol, ce qui entrave le travail des sapeurs. Si vous cherchez du métal, vous vous arrêteriez toutes les cinq secondes, mais les chiens sont formés pour détecter les explosifs et le métal ne les décourage pas.»

Patron, un Jack Russell terrier appartenant à Mykhailo Iliev est ainsi devenu un symbole national de l’Ukraine dans cette guerre. Spécialisé dans la détection d’explosifs et engagé auprès des équipes de déminage de Tchernihiv, il a été décoré de la médaille de l’ordre «pour le Courage» par le président Volodymyr Zelensky en personne, le 8 mai 2022. À cette date-là, il avait déjà repéré 236 engins explosifs intacts en quelques semaines seulement. Ce petit chien démineur a également été nommé «ambassadeur de bonne volonté» par l’Unicef.