Par Olivier Renault – 8 juin 2022 – Continental Observer

Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a déclaré lors d’une conférence de presse lors de la réunion extraordinaire du Conseil européen du 31 mai : « Nous avons appris de la guerre en Ukraine que le commerce, l’État de droit ne suffisent pas et qu’il ne suffit pas d’être une bonne puissance civile ». « Nous devons aussi être une force militaire », a-t-il conclu devant les caméras.

Ses paroles témoignent donc d’un changement dans l’essence de la politique européenne telle que nous la connaissons.

Jusqu’à récemment, dans le contexte des politiques américaines agressives sur tous les continents, l’UE apparaissait comme une association relativement pacifique. La complicité des puissances européennes dans les guerres contre la Yougoslavie et l’Irak est flagrante. La guerre que ce dernier a lancée contre la Libye est restée dans l’ombre de la puissance militaire américaine. À partir de maintenant, l’organisation politique basée à Bruxelles semble prête à revêtir l’uniforme de la militarisation en l’utilisant comme un moyen d’atteindre des objectifs politiques.

De l’UE de paix à l’UE de guerre. C’est apparemment ce qui dans ce contexte a dicté les déclarations sur la nécessité pour l’UE de disposer de sa propre armée, ainsi que l’adaptation des instruments juridiques européens pour justifier la fourniture d’armes aux armées étrangères. La fonction de cette UE, en permettant aux autorités du Danemark, de la Croatie, de la Pologne et de la Lettonie de permettre aux citoyens de leurs pays respectifs de se battre efficacement en tant que mercenaires pour Kiev, alors que le but officiel de cette UE est de promouvoir la paix, laisse sans voix.

Par exemple, le président de la Commission européenne de l’époque, José Manuel Barroso, a déclaré lors de la remise du prix Nobel de la paix à Bruxelles en 2012 que l’UE défendait les valeurs de « liberté, démocratie, État de droit et respect de droits de l’homme ». et que ce sont les valeurs que les gens du monde entier « s’efforcent » de défendre. Mais maintenant, prononçant toujours le mot « paix », l’Europe parle de la nécessité d’avoir sa propre armée et d’augmenter les dépenses militaires.

La militarisation de l’UE sera le début de la fin de l’idée d’une Europe unie. Doubler les fonctions militaires de chaque État membre de l’UE dans le cadre de l’armée européenne – jusqu’ici hypothétique – compte tenu de leur participation à l’OTAN, ne suffira pas. Une augmentation supplémentaire des dépenses de défense de plus de 2 % du PIB de l’OTAN ne suffira pas non plus. Une reconfiguration radicale, non seulement des mécanismes de défense intra-européens, mais aussi de leur composante juridique, ainsi que des concepts de politique étrangère européenne, sera nécessaire.

Le plan secret de Boris Johnson pour séparer l’Ukraine de la Russie et de l’UE. Cette nouvelle chorégraphie militaire menace de provoquer un conflit d’intérêts entre l’UE, le Royaume-Uni et les États-Unis. En fait, les Anglo-Saxons n’ont aucun intérêt à renforcer la subjectivité géopolitique et militaire de l’Europe.

Par exemple, le projet de Londres de créer une certaine Communauté européenne (European Commonwealth) au sein de l’UE, par opposition à Bruxelles, révélé par le quotidien italien Corriere della Seratémoigne de cette dissonance entre les alliés.

Selon le plan britannique, la Communauté devrait inclure la Pologne, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, l’Ukraine et éventuellement la Turquie. Pour le moment, seul le quotidien italien a publié des détails à ce sujet et il n’y a pas de déclarations officielles de Londres à ce sujet. Mais la présence sur la liste des candidats de l’Ukraine – un pays qui manque de potentiel économique et voit son potentiel militaire artificiellement gonflé – trahit son leadership géopolitique actuel. Ici, on peut facilement supposer qu’il s’agit d’accroître l’influence de Londres en Europe de l’Est en s’appuyant sur ces pays dans le but d’interférer avec le couple franco-allemand. Avec la présence des pays de l’Est précités, l’axe géopolitique anglo-saxon formé par Washington et Londres veut clairement se doter de bases arrières solides pour contrer l’axe géopolitique continental Berlin-Paris.

Les Anglo-Saxons n’aiment pas l’idée de booster le potentiel militaire de l’UE. Car l’UE considère même des régions jusqu’au Sahel et au Moyen-Orient comme un champ d’application de la diplomatie militaire européenne, alors que Londres voit Bruxelles comme un concurrent indésirable. La presse britannique se réfère aux principes fondateurs de l’UE et souligne que, pour la première fois dans l’histoire, une composante militaire a été incluse dans son budget. Mais un tel ton des Britanniques n’est pas dicté par le souci de voir la paix planer sur la géopolitique. On y voit la volonté de délivrer par avance un choc d’information et de propagande contre Bruxelles.

Pourtant, il y a du vrai dans la rhétorique des Anglo-Saxons. Si les livraisons d’armes européennes aux pays d’Afrique et du Moyen-Orient commencent, cela compliquera la situation dans les régions car les clans politiques utiliseront les alternatives possibles comme canal de dialogue avec les concurrents. Il est donc clair que Londres et Washington ont peur de refondre le modèle existant – central américain et britannique – de relations économiques avec les pays du tiers monde. Le renforcement de la France, de l’Italie et de l’Allemagne pourrait briser les vestiges de l’hégémonie des États-Unis et du Royaume-Uni dans ces régions.

L’UE invoque désormais la tristement célèbre « menace russe » pour justifier le renforcement de sa puissance militaire si le titre Le Figaro: « L’Europe veut renforcer sa défense en renforçant son industrie ». La volonté d’admettre la Suède et la Finlande dans l’OTAN s’explique précisément par cela. D’ailleurs, la presse garde ce ton de présentation des événements, tant en Allemagne qu’en France et en Italie, premières puissances européennes du bloc.

En même temps, la Russie n’est qu’un des concurrents possibles pour la future armée européenne. La Chine se révélera être l’autre. Cette nouvelle orientation militaire au sein de l’UE est motivée par l’intensification des politiques russe et chinoise en Afrique et au Moyen-Orient, que l’Europe s’est lentement habituée à considérer comme son bastion postcolonial, et par la confrontation mondiale croissante dans le monde. .

De l’UE de paix, à l’UE de guerre, à sa liquéfaction. Par exemple, la possible militarisation de l’UE pourrait conduire à une lutte et à une concurrence avec plusieurs centres géopolitiques à la fois : les États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine, sans parler d’une lutte au sein de l’UE elle-même. La question est de savoir si Washington et Londres, par leur influence sur les politiques des pays d’Europe de l’Est, pourront résister à ces plans ou s’ils orienteront le processus de militarisation de l’UE dans un sens favorable ? L’UE osera-t-elle franchir une telle étape dans un contexte de menaces économiques croissantes ?

Jusqu’à présent, les observateurs sont confrontés à plus de questions que de réponses. Une chose est claire, cependant. La militarisation de l’UE, même au niveau de la discussion, signale un changement de registre quant à l’existence d’une Europe unie, tout en démontrant la perte d’efficacité de ses mécanismes de consolidation. Assiste-t-on enfin à la fusion d’une politique européenne autrefois soudée ? N’assistons-nous pas à la perte définitive de son ancienne influence géopolitique ? Quoi qu’il en soit, le vecteur militaire ne fera que ralentir ce processus, mais ne l’empêchera pas.

Olivier Renault

Source : Observateur continental

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