Pourquoi les investisseurs étrangers s’emparent du football français ?

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Le rachat de l’OL par l’homme d’affaires John Textor s’inscrit dans une série d’investisseurs étrangers sans lien de dépendance dans le football français. 14 clubs professionnels sont aujourd’hui détenus par des capitaux russes, américains, anglais, qatariens, chinois ou autres et le phénomène risque de se poursuivre. Explication.

Qu’est-ce qui vient après cette annonce

La liste continue. L’Olympique Lyonnais passant sous pavillon américain, il y a désormais 10 clubs de Ligue 1 détenus par des capitaux étrangers. Ils sont 4 en Ligue 2, en attendant l’éventuelle vente de Saint-Etienne à l’homme d’affaires américain David Blitzer. John Textor, le futur nouvel actionnaire majoritaire des Gones à travers sa société Eagle Football Holdings LLC, étend un peu plus loin son empire, lui qui détient déjà 40% du capital de Crystal Palace (Premier League), 80% côté Molenbeek (D2 belge), et 90% de Botafogo (Brésil). « Le football est également lié à la communauté, aux villes et aux groupes derrière leur équipe. J’aimerais qu’on revienne un peu plus sur ces valeurs.a-t-il expliqué le 21 juin, jour de sa présentation à la presse.

Il faudra sans doute attendre encore un peu le retour du football « des valeurs », notion encore floue. Textor est un professionnel de l’industrie du sport et divertissement† Il a déjà les codes pour empocher le public. “Je n’aime pas le modèle du PSG, j’espère qu’on pourra le battre la saison prochaine. Si on continue à faire ce que Jean-Michel (Aulas) fait depuis quelques années et à apporter du divertissement et de la technologie, on peut gagner plus d’argent qu’avec un investisseur qatari. † La promesse d’une belle équipe, d’importants moyens à disposition, un petit tacle au passage pour l’adversaire, la recette est connue pour empocher les supporters. Mais ne vous méprenez pas. Si John Textor est en train d’acquérir 66% des parts de l’Olympique Lyonnais, c’est surtout pour s’enrichir et étendre son empire.

Le rapprochement Covid/Mediapro a accéléré le mouvement

Il embrasse simplement un mouvement qui a commencé il y a près de 20 ans, lorsque le PSG a été acheté par l’American Colony Capital pour 70 millions de dollars. 5 ans plus tard, Qatar Sports Investments (QSI) reprend 70% des parts du fonds d’investissement. Colony Capital aurait réalisé un bénéfice d’environ 10 millions d’euros. C’est le début d’une nouvelle ère en France, celle des investisseurs étrangers, exacerbée par la crise liée au Covid-19 puis avec le retrait de Mediapro. “Cette conjonction de facteurs a extrêmement fragilisé les clubs français. Lorsqu’ils ont signé ce contrat avec Mediapro, ils envisageaient une manne très importante et durable sur plusieurs années. Certains ont pris des risques en anticipant cette manne à travers le mercato. Des circonstances un peu difficiles, ces temps-ci nous ont des clubs français qui ont besoin d’argent frais.décrypte Louis-Marie Valin, membre de l’Observatoire du sport entreprise.

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Outre cette conjoncture favorable à l’intervention de capitaux étrangers, les clubs français sont structurellement déficitaires. Jetez un œil aux rapports annuels successifs de la DNCG pour suivre la tendance. Les pénuries se succèdent et s’agrandissent du fait de l’augmentation des coûts. “Il y avait une énorme somme d’argent dans les autres championnats, ce qui a bien sûr augmenté les récompenses, c’est-à-dire les salairespoursuit l’économiste. Les frais de club ont explosé. Si les clubs français voulaient emboîter le pas et être compétitifs, ils étaient contraints d’augmenter leurs salaires. C’est le plus gros problème des clubs de nos jours. Il faut donc de l’argent structurel pour absorber la masse salariale.† Et là où les actionnaires pouvaient être pot dans les bons moments, ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui.

Les clubs français commercialisent plus que jamais…

Pour minimiser les pertes, il est temps de vendre des clubs. Le fardeau est devenu trop lourd à porter. Elle menace de fragiliser un ensemble encore plus grand pour les propriétaires. De ce point de vue, l’arrivée d’investisseurs étrangers est une aubaine pour de nombreux dirigeants. Ils prennent différentes formes : fonds d’investissement comme à Bordeaux, LOSC, Caen ou Toulouse, multinationales après INEOS à l’OGC Nice, entreprises chinoises pour Sochaux et Auxerre, ou américaines à l’OM, ​​oligarque russe à Monaco, fonds souverains au PSG ou encore intégré à Troyes au conglomérat City Group. A l’exception de QSI, qui promeut l’image du Qatar dans le monde à travers le football, tout le monde a la même envie générale. Faites un profit maximum.

Fragilisés pour les raisons précitées, les clubs français sont des proies faciles, en plus d’offrir de nombreux atouts. « Il y a la création de la société commerciale de la LFP avec l’arrivée de CVC qui investit 1,5 milliard dans le football français. Ce sera aux clubs. Ils auront des sources de revenus supplémentaires. C’est plutôt positif pour les investisseurs parce qu’ils viennent faire des plus-values, gagner de l’argent.Magali Tezenas du Montcel, représentante générale de Sporsora, voit également dans les structures un argument de séduction. « Les investisseurs vont regarder les dossiers de ces clubs, donc toutes les installations sportives, les stades. Et puis nous sommes un pays qui forme beaucoup de talents, avec des centres de formation performants. C’est important pour les investisseurs, car l’échange de joueurs fait partie du modèle économique d’un club de football.”

…Et à des prix très abordables

Le moment serait donc parfait pour investir, d’autant que l’extension de Kylian Mbappé au PSG éclaire encore plus notre championnat. Autre avantage, le marché français reste accessible, contrairement à ses voisins, notamment l’Angleterre, qui est complètement saturée d’investisseurs arrivés il y a quelques années. “Je prends comme référence les clubs les plus récemment vendus : Chelsea plus de 5 milliards. L’OL c’est 800 millions d’euros”, précise le PDG du groupe de réflexion pour le développement de l’économie du sport. L’Italie, de son côté, est victime de ses stades vétustes et de son manque d’entraînement, la Liga se joue en permanence entre le Real Madrid, l’Atlético et le Barça, en plus d’imposer des mesures économiques restrictives aux investisseurs, tandis qu’en Allemagne, le “50 De +1 Rule qui stipule qu’un actionnaire ne peut détenir plus de 49% des actions rend impossible l’entrée sur ce marché.

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“Il faut chercher ailleurs, comme en Ligue 1. Aujourd’hui un club français est un très bon compromis. Ça reste une bonne compétition avec des places en Ligue des champions. Une bonne occasion de trouver des choses intéressantes, de créer du business et du merchandising, tout en étant accessible”, rapporte Louis-Marie Valin. De quoi se frotter les mains, notamment pour les entrepreneurs américains, qui sont actuellement de plus en plus présents en France, 4 ans après la Coupe du monde aux Etats-Unis. Là où une franchise vaut plusieurs milliards, un club de Ligue 1 dépasse rarement les 100M€, poursuit M. Valin « Ils ont une vraie vision du business du sport que nous avons beaucoup moins en Europe, cette idée de divertissement. N’oublions pas qu’il s’agit de loin du plus grand marché du sport. C’est sans commune mesure avec les autres. Concrètement, si un club parvient à s’implanter là-bas sur ce marché, ce sont beaucoup de sources de revenus. †

Echec bordelais, succès toulousain

Le billet d’entrée est abordable, mais cela n’empêche pas les accidents, comme à Bordeaux. Un an après son investissement initial, GACP avait trop de difficultés financières et a dû vendre ses parts à King Street, qui a vendu le club deux ans seulement après son arrivée à Gérard Lopez. Celle-ci repose sur un emprunt contracté auprès de King Street et Fortress, devenus créanciers des Girondins. “Ils n’avaient pas de fonds propres, ils se sont juste appuyés sur ces fonds spéculatifs qui veulent un retour sur investissement très rapide”résume l’observateur de l’entreprise sportive Résultat : un an après ce rachat, le club au scapulaire est au bord de la faillite après une saison catastrophique au cours de laquelle il a été relégué sportivement en Ligue 2 et provisoirement administrativement en National 1. Avec cet échec là sont également des problèmes de compétences.

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Le modèle toulousain est un bon exemple de réussite. En 2020, le fonds de pension américain RedBird Capital Partners a racheté 85% des parts du club à Olivier Sadran, alors que c’était le retour en Ligue 2. Le nouvel actionnaire s’est entouré de personnes qualifiées (Damien Comolli en management, Brendan MacFarlane en recrutement), aux réseaux et savoir-faire éprouvés. Il ne leur a fallu que deux ans pour trouver l’élite. « Caen, Sochaux, Auxerre les attirent aussi. En réalité, peu importe que le projet soit en L1 ou en L2. Cela dépend de combien vous achetez, mais c’est le potentiel de gain que nous recherchons. En Ligue 2 aussi ça peut être intéressant si tous les ingrédients sont réunis.assure Magali Tezenas de Montcel.

Où sont les investisseurs français ?

On peut alors se demander pourquoi le marché français, aussi attractif soit-il, est de plus en plus monopolisé par les investisseurs étrangers. « Les entreprises sont incitées à investir ailleurs. En France, on investit dans le cinéma, l’art, notamment pour des raisons de défiscalisation. Les grandes fortunes n’ont pas la pression sociale pour investir dans le football.† Pour Valin, c’est un manque de culture sportive, mais c’est aussi lié à la structure économique et jacobine de notre pays. « La désindustrialisation de la France joue aussi un rôle. Si on regarde les grands pays étrangers, les gros investisseurs locaux sont souvent de grandes entreprises industrielles. Fiat avec la Juventus, Pirelli avec l’Inter, Bayer avec le Bayer Leverkusen. Nous travaillons souvent pour de grandes multinationales locales. En France, ils sont tous nationaux et n’investissent pas dans le sport.

Propriétaire du Stade Rennais depuis le début des années 2000, François Pinault fait figure d’exception. De Breton est l’homme le plus riche de France (et sans doute du monde) qui possède un club de football, mais il n’a jamais investi de ressources disproportionnées, préférant une gestion “en bon père”. Pourtant, c’est le soir de la finale de Coupe de France remportée contre le PSG en 2019 que la 4e fortune française a vécu, “un de [ses] plus grandes émotions de l’homme. (…) Je n’ai jamais rencontré un tel sentiment dans le monde des affaires. Et pourtant j’en ai fait quelques-uns : remporté des OPA et des batailles à la grande satisfaction de l’entreprise. Mais le football n’est pas le même. Que doit-il inspirer à ses riches confrères français ? Pas si sûr, car ils ont déjà cédé la place aux investisseurs étrangers, et probablement pour encore quelques années.

footmercato.net

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