La résolution sur l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe a été votée aux Nations unies le 2 mars 2022.

Par RFID

Posté la 24/08/2022 sous le titre : Invasion de l’Ukraine : pourquoi les pays africains prônent le non-alignement ?

Six mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la plupart des États africains refusent de prendre parti pour ou contre Moscou. Une attitude décrite comme : alignement incorrect qui a de multiples motifs.

Le 2 mars, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté à une très large majorité une résolution exigeant que la Russie cesse immédiatement d’utiliser la force contre l’Ukraine. Si le texte avait été approuvé par 141 pays, 35 se seraient abstenus. Plus de la moitié d’entre eux venaient de pays africains. Une décision qui s’expliquerait par la vision du Western Bloc, selon Paul-Simon Handy, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS), à Dakar.

« Cela peut être un non-alignement dans le sens où les pays refusent de faire un choix dans un conflit très complexe, que les Africains ne comprennent pas bien. Ils pensent que l’Occident (ou du moins l’Europe), les États-Unis et les pays alliés sont très mal placés pour donner des leçons de moralité internationale, compte tenu de l’histoire récente où nous avons vu des blocs occidentaux remettre en question la souveraineté d’États comme la Libye et l’Irak récemment, », a-t-il déclaré au micro de Claire Fages du service Afrique.

« Il y a une sympathie croissante pour la Russie et son dirigeant, le président Poutine. Cette fascination tient beaucoup moins à l’admiration pour le président Poutine qu’à un certain rejet de ce que nombre de pays africains considèrent comme des formes de néocolonialisme. Surtout, la Russie émerge comme un partenaire de sécurité et de défense en Afrique à un moment où la construction de l’État africain fait face à des attaques répétées qui mettent à l’épreuve leur souveraineté. poursuit Paul-Simon Handy.

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 » Il s’agit de répondre à la question : « Dans quel système international voulons-nous vivre ? En ce sens, je me tourne vers les textes fondateurs de l’Union africaine, en particulier la charte qui défend précisément les principes de l’insaisissabilité des frontières, du règlement pacifique des conflits, de l’inviolabilité de la souveraineté, autant de principes que la Russie viole », dit le chercheur de l’Institute for Security Studies.

 » Je ne pense pas qu’il soit dans l’intérêt des pays africains de soutenir un ordre international dans lequel les plus forts testent la souveraineté des plus faibles. On pourrait aussi se demander quelle serait la réaction des pays africains, et même de l’Union africaine, si un grand pays africain envahissait un pays de moindre importance. Nous serions dans l’espace africain dans un dossier Russie-Ukraine, ce qui mettrait à mal la cohésion panafricaine prônée par l’Union africaine.ne pas. »

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Même s’ils ne le disent pas ouvertement… Est-ce que plusieurs chefs d’Etat africains prennent un certain plaisir à voir l’Otan en difficulté en Ukraine, face à la Russie ? Certains d’entre eux ressentent-ils une vengeance après le renversement du régime de Kadhafi par la même organisation militaire occidentale – il y a 11 ans en Libye ? Il s’agit de la thèse de Paul-Simon Handy, responsable du bureau ISS, de l’Institut d’études et de sécurité d’Addis-Abeba.

RFI : Pourquoi ce silence assourdissant de nombreux pays africains sur la guerre en Ukraine ?

Paul Simon Handy : Le silence s’explique, je pense, par la tradition du libéralisme héritée de la guerre froide, qui pousse plusieurs États à maintenir une sorte d’égale distance vis-à-vis des superpuissances, surtout lorsqu’elles s’affrontent. N’oublions pas non plus que les Africains font face à beaucoup de conflits au quotidien et se prêtent plutôt mal à cette forme de glorification de l’émotion et de l’indignation, car s’il fallait s’indigner de chaque crise, on n’en sortirait pas. Mais il y a un autre facteur qui est l’opportunisme de certains États. Il ne vous a pas échappé qu’un pays assez proche de la Russie, comme l’Algérie, s’est pourtant empressé de proposer à l’Europe de l’approvisionner en gaz en cas de besoin. Il y a donc une sorte d’opportunisme…

Troisièmement – ​​un facteur très important, je crois – est l’inconscient anti-impérialiste et on pourrait aussi dire anti-occidental de nombreux Africains, y compris de nombreux dirigeants. On ne peut pas non plus cacher que le président russe fait l’objet de beaucoup d’admiration en Afrique, précisément parce qu’il représente les qualités d’un homme fort. Il pratique le karaté, il a un discours très martial… Cette sorte de petit plaisir malin de ce « schadenfreude » – comme disent les Allemands – peut aussi venir du fait que l’arroseur s’aperçoit qu’il a été un peu arrosé, à l’OTAN … C’est un petit plaisir diabolique de regarder les pays occidentaux – surtout l’OTAN – lutter, en se souvenant de ce qui s’est passé en Libye. La fascination, c’est indirect, mais je ne crois pas que ce soit une position fondamentale des politiques de plusieurs pays africains.

Est-ce que tout le ressentiment africain face à l’intervention occidentale en Libye peut servir Vladimir Poutine aujourd’hui ?

Elles le servent certes dans les opinions nationales, dans les opinions collectives, mais je ne pense pas qu’elles fassent l’objet d’une véritable politique. Principalement parce que c’est pareil, il y a une invasion, donc non respect du pacte historique sur les frontières. L’Afrique aurait été induite en erreur en adoubant de tels processus, ce qui remettrait en cause le cœur même de la construction panafricaine et de l’Union africaine, notamment le caractère insaisissable des frontières.

Et est-ce pour cela que le président sénégalais Macky Sall et le président de la Commission Moussa Faki Mahamat appellent Moscou à respecter la souveraineté nationale de l’Ukraine ?

Absolu. Et ils sont vraiment dans leur rôle. Par exemple, ils agissent comme porte-parole des textes fondateurs de l’Union africaine. Ce sont des principes sacrés en Afrique, sur lesquels se construit la paix internationale, dont la violation ne peut être condamnée que par le Président de l’Union Africaine et le Président de la Commission. Surtout parce qu’ils constatent qu’il existe un certain nombre de tensions entre les États d’Afrique, qui donnent même lieu à une course aux armements, comme entre l’Algérie et le Maroc. Ce sont donc des situations qui pourraient à terme déboucher sur une escalade, ce qui nuirait à l’Union africaine.

Et en Afrique centrale et occidentale, à l’exception de la République centrafricaine et du Mali, qui doivent bien sûr soutenir l’offensive russe en Ukraine, qu’en est-il des autres pays ?

Je pense que la plupart des pays africains, de manière tout à fait opportuniste, s’en tiendront au fameux non-alignement. Ce sont des partenaires stratégiques de l’Occident. Ils ne sont pas indifférents à l’intervention récente de la Russie en Afrique aujourd’hui, c’est pourquoi de nombreux Africains agiront avec indifférence pour éviter de blesser deux partenaires qui se trouvent être des superpuissances.

La Russie contre le G7, il y a un petit air de guerre froide. Chaque pays africain devra-t-il choisir son camp, comme il y a quarante ans ?

Aujourd’hui, même s’il y a un parfum de guerre froide, on ne peut plus parler de bipolarité, car on est en fait dans un contexte de multipolarité. Cette sorte de bipolarité russo-occidentale n’est finalement qu’un élément de la vie internationale aujourd’hui. De plus, cela pourrait inciter plusieurs pays africains à jouer l’indifférence plutôt qu’à adopter une position ferme.

Source : https://rfi.my/8gWQ.F