«S.T.A.L.K.E.R. 2»: quand la propagande russe s'attaque à tout, même aux jeux vidéo ukrainiens

Depuis le début de son invasion de l’Ukraine en février 2022, la Russie multiplie les opérations de désinformation, en ligne ou non, et s’attaque à tous les sujets possibles pour discréditer le pouvoir de Kiev, déstabiliser les alliés du pays de Volodymyr Zelensky et fragiliser l’image de son voisin dans l’opinion. La dernière opération en date est une campagne bien huilée ciblant le jeu vidéo S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl, un jeu de tir en vue subjective (FPS), dont l’action prend place au sein de la zone d’exclusion de la centrale nucléaire de Tchernobyl et qui est sorti le 20 novembre sur PC et Xbox.

Ce n’est pas vraiment le décor du jeu qui justifie une telle campagne, mais plutôt le fait qu’il soit développé par un studio ukrainien, en Ukraine, alors que le pays continue de se défendre face à la guerre voulue et engagée par Vladimir Poutine. Décrite par le média d’investigation américain 404 Media, l’opération de propagande russe est notamment basée sur une vidéo dans laquelle figure un logo du magazine américain Wired (consacré aux nouvelles technologies) et qui circule depuis quelques semaines sur la messagerie Telegram. Elle aurait aussi été envoyée directement par mail à des journalistes. Wired n’a évidemment rien à voir avec cette vidéo qui affirme –à tort– que le jeu vidéo serait utilisé pour recruter de nouveaux soldats ukrainiens et collecterait les données privées des joueurs.

«Le jeu ukrainien S.T.A.L.K.E.R. 2 aide le gouvernement à localiser des citoyens aptes à la mobilisation, avance le texte de la vidéo, illustrée par des images de gameplay du jeu. Un programme intégré a été découvert dans le code du jeu, collectant des données sur l’appareil, le nom, l’adresse IP et la localisation actuelle du joueur, transmises toutes les secondes aux serveurs du développeur.» Autre mensonge: la vidéo affirme que le développeur GSC Game World, basé à Kiev, aurait conclu un accord avec le gouvernement ukrainien et que ce dernier verserait au studio de l’argent en échange de son aide dans la mobilisation de nouvelles recrues.

Une cible de choix

On ne sait pas encore avec certitude de qui émane cette campagne de désinformation, même si quelques indices tels que les canaux de diffusion et le réseau utilisé pointent vers un groupe déjà responsable d’une opération envers la presse et les médias occidentaux, en fin d’année 2023 et au début de l’année 2024. L’Agence France-Presse (AFP) avait alors révélé cette vaste «entreprise de diversion» à destination des journalistes, surnommée «Matriochka».

«Selon les chercheurs du Digital Forensic Research Lab (DFRL) de l’Atlantic Council [un groupe de réflexion américain spécialisé dans les relations internationales, ndlr], le but est d’inonder Telegram, les réseaux sociaux et les boîtes de réception des journalistes avec des fausses histoires qui dénigrent généralement l’Ukraine et les pays de l’OTAN, ce qui fait perdre leur temps aux journalistes et renforce la méfiance globale des gens envers les médias», précise 404 Media.

Le premier jeu vidéo S.T.A.L.K.E.R., sorti en 2007, se déroulait déjà dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, mise en place à la suite de la catastrophe nucléaire du 26 avril 1986. Son mélange de survie, de tir et d’horreur a vite conféré au jeu un statut culte, ajoutant un peu plus à l’attente placée dans son successeur, devenu entre temps plus qu’un simple jeu vidéo. Même si une partie de l’équipe de développeurs a fui les combats pour travailler depuis Prague en République tchèque, d’autres ont continuer à créer le jeu en Ukraine, sous les bombardements ennemis, certains ayant même été mobilisés pour combattre sur le front.

On comprend mieux la volonté de la Russie de s’attaquer au jeu: l’importance symbolique de S.T.A.L.K.E.R. 2 en fait une cible de choix… Pas sûr cependant que la campagne de désinformation contre le jeu ait été efficace. Depuis sa sortie, le titre est en tête des ventes sur la plateforme vidéoludique Steam.