À 35 ans, Rui Pinto a encore la « bouille juvénile », selon les mots de son avocat, Me William Bourdon, lorsqu’il franchit les portes du Palais de justice de Paris, ce mercredi matin. Le lanceur d’alertes, à l’origine des Football Leaks, aurait pourtant des raisons de s’être fait quelques rides. « Lourdement criminalisé » ces dernières années au Portugal, explique son conseil, où il a été condamné à 4 ans de prison avec sursis pour des faits de violation de correspondance et d’accès illégitime à des systèmes informatiques, il vit aujourd’hui avec la présence constante de gardes du corps, en tant que témoin protégé. Ses révélations avaient ébranlé le monde du football et déclenché un peu partout en Europe des procédures judiciaires, la plupart pour des délits financiers, notamment liés à des montages économiques suspects, de la fraude fiscale ou des commissions occultes sur des transferts de joueurs. Ce mercredi matin, il s’est déplacé au tribunal judiciaire de Paris dans le cadre d’une comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Le parquet a proposé une peine de six mois de prison avec sursis, qu’il a acceptée, pour des faits d’atteintes et de maintien dans un système de traitement automatisé de données, au préjudice du Paris-Saint-Germain. Cela fait suite à une plainte déposée par le PSG en 2019, après de premières révélations de presse, par Mediapart notamment. Sur la base de boîtes mail piratées par Rui Pinto, une enquête préliminaire globale avait été ouverte sur les Football Leaks avec, dans celle-ci, plusieurs sous-volets. Des investigations avaient ainsi été lancées pour fraude fiscale contre les joueurs Angel Di Maria et Javier Pastore. Si le premier ne sera finalement pas inquiété, les investigations concernant le second sont toujours en cours. C’est dans le cadre de cette enquête globale, qui dure depuis des années maintenant, que Rui Pinto collabore avec le Parquet national financier (PNF), comme il l’a déclaré à l’audience. Dans ce dossier, la compétence du PNF est fondée si les joueurs mis en cause sont français et ont leur domicile fiscal en France, s’ils sont étrangers mais ont leur domicile fiscal en France, ou encore si les sociétés qui gèrent, par exemple, l’image de ces joueurs, a son siège social en France. Nul ne sait encore précisément l’étendue des investigations menées depuis 2017 par le PNF. Toujours sur la base des documents de Rui Pinto, la cellule de recrutement du centre de formation du PSG s’était quant à elle vue soupçonnée de procéder à un fichage ethnique. Cette dernière enquête a été classée sans suite en octobre 2022 par le parquet de Paris pour « infraction insuffisamment caractérisée », mais la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a déposé plainte avec constitution de partie civile, afin d’obtenir la désignation d’un juge d’instruction. À la barre du tribunal ce mercredi, Rui Pinto a reconnu sa culpabilité. Il a souhaité solder cette procédure et n’a pas réclamé le statut de lanceur d’alertes. Il lui est reproché d’avoir piraté des boîtes mails, téléchargé des pièces jointes et le contenu de courriels échangés par trois cadres du PSG, Benoît Le Sech (directeur des affaires financières), Frédéric Longuépée (aujourd’hui en poste à la Défense Arena), et Emilie Boisseau, une assistante de direction. Trois boîtes mails, donc, sur les 488 qui ont été retrouvées par les enquêteurs sur son ordinateur. « Monsieur Pinto est un pirate informatique », a lancé à l’audience Me Maisonneuve, l’avocat du PSG, réclamant et obtenant un euro de dommages et intérêts. « C’est une situation difficile pour moi et mon entourage », a dit Rui Pinto, qui a décrit le contexte – la révélation de données d’intérêt public, selon lui – dans lequel ces infractions ont été commises. Et qui assure vivre maintenant dans une « bureaucratie judiciaire » et faire face, au Portugal, à un système judiciaire « un peu archaïque ». Alors qu’il a déjà été condamné une fois, des clubs et agents s’acharnent et ont déposé une nouvelle salve de plaintes. Le cauchemar de Rui Pinto risque donc de durer quelques années encore. « Sa présence ici est signature de sa sagesse et de son bon sens », a observé Me Bourdon. L’avocat a rappelé que son client était témoin protégé, et qu’il était donc reconnu, de par ses révélations, comme « un grand contributeur à l’intérêt public. »« Nous confirmons ici l’intensification de sa coopération avec le PNF, et au-delà, avec Eurojust (l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale) », a-t-il ajouté. Que la justice française consacre le fait que les données à l’origine des Football Leaks aient été récupérées de manière illégale ne devrait pas avoir d’impact sur les enquêtes pénales lancées sur la base de ces révélations. En clair : les clubs, agents, joueurs ou associations mis en cause ne devraient pas pouvoir se servir de ce délibéré condamnant Rui Pinto à 6 mois de prison avec sursis pour tenter de faire annuler les enquêtes les visant. « C’est très clair depuis la jurisprudence Bettencourt (les enquêteurs avaient pu utiliser les enregistrements clandestins du majordome de Liliane Bettencourt dans le cadre de leurs investigations) », assure une source judiciaire.