Publié le 15 février 2018 sur entreleslignes.be

On reconnaît ici le vrai travail d’un bon journaliste : l’homme Poutine est décrit avec précision, objectivité et retenue par Nina Bachkatov(**). Au fil de nombreuses années et de plusieurs séjours en Russie, ce journaliste belge a recueilli une grande quantité d’informations, de documents, de témoignages. Et surtout, elle s’adresse à la population russe, un peu partout dans cet immense territoire qu’elle parcourt depuis longtemps. Cela lui donne un atout essentiel : elle comprend et peut partager avec nous un peu de cette « âme » russe, de la sensibilité d’un peuple qui retrouve la fierté de sa culture, de partager son histoire entre l’Europe et l’Asie.

Mettons également l’accent sur une écriture fluide, des mots corrects et précis, un langage clair et une analyse sans concession.

Ce livre « Poutine. L’homme qui aime détester l’Occident

lit avec intérêt et plaisir. Car Nina Bachkatov est engagée dans un travail passionnant de démantèlement des préjugés, des fausses informations, de la propagande propagée par les diplomates, les militaires, les médias d’Orient et d’Occident.

On y découvre comment cet homme a succédé à Boris Eltsine, qui avait bien vu dans sa capacité à remettre de l’ordre dans un système politique corrompu et a subi une forte pression des Etats-Unis à la fin de la « guerre froide », suivie par l’Europe, avide maintenir l’hégémonie mondiale.

Le credo de Poutine a peu à peu changé : restaurer la grandeur de la Russie, étendre sa sphère d’influence à travers l’Eurasie, dans un monde multipolaire où les Etats-Unis et l’Europe se tiennent au coude à coude avec les BRICS et ne dictent plus leurs lois néolibérales.

Les erreurs et les échecs de Poutine sont expliqués à la lumière des développements géopolitiques. Ses succès aussi, et notamment le fait d’avoir remis la Russie au premier rang des grandes puissances face aux conflits meurtriers du Proche et du Moyen-Orient. La Russie bénéficie d’une bonne connaissance de ces pays et de leurs puissances. Poutine sait argumenter avec eux, sans arrière-pensées coloniales, sans agiter ces valeurs que les Occidentaux manquent déjà de respect. Un réalisme politique qui repose aussi sur le fait qu’il fait ce qu’il dit. Les autres savent à quoi s’attendre.

Nina Bachkatov démonte également les gestes de l’Otan visant à recréer une nouvelle guerre froide dans laquelle de bons accords commerciaux et culturels permettraient aux Européens de vivre en parfaite égalité avec ce grand voisin aux ressources considérables et à la population très connectée, très connectée dans un mode de vie similaire au nôtre.

Au niveau domestique, ce portrait permet de comprendre comment une « démocratie autoritaire » comme celle sous la houlette de Poutine n’est pas rejetée par la majorité de la population qui se sent reconnue dans sa culture, son sentiment d’insécurité territoriale et qui privilégie une modernisation de l’économie et une lutte contre les pires corruptions. Cependant, la montée des électeurs les plus jeunes, avides de goûter aux bienfaits d’une presse libre, d’une vie culturelle libérée du carcan des valeurs religieuses, menace de changer la donne.

De nouveau candidat à la présidentielle, Poutine devra adapter son discours et ses actes à cette évolution interne. Ce livre va nous aider à le déchiffrer. (GL) « 

Frites au fromage. L’homme qui aime l’ouest


« . Nina Bachkatov. Ed. Jourdan. 2018. 19,90 €.

(**) Nina Bachkatov, journaliste et politologue. Elle a parcouru l’ex-URSS pendant trente ans, notamment en tant que correspondante régulière à Moscou. Elle a construit une carrière universitaire et enseigné la géopolitique de la Russie et de l’Eurasie, notamment à l’Université de Liège. Docteur en science politique, elle gère aujourd’hui le site Inside Russia & Eurasia, continue de se rendre régulièrement en Russie, donne des conférences et commente l’actualité russe. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages individuels et collectifs, dont « L’énergie diplomate ; Enjeux et effets de la diplomatie énergétique en Fédération de Russie » (Bruylant), « Les nouveaux soviets » (Calmann-Levy), « La Russie, de Poutine à Medvedev » (Unicomm).