Mort à 15 ans, un gameur catholique à l'origine de prétendus miracles va devenir le «saint patron du web»

Né à Londres en 1991, Carlo Acutis avait en quelque sorte deux religions: les écrans (il jouait énormément à Halo et a appris à coder tout seul) et le catholicisme. Très jeune, il a d’ailleurs tenté d’allier ses deux passions en multipliant les recherches à propos des miracles eucharistiques, ces phénomènes paranormaux qui, dans la religion catholique, sont liés à l’hostie et au vin consacrés.

C’est en 2004 que le jeune homme entame ses investigations, affirmant qu’«être toujours uni à Jésus» était son «projet de vie», raconte le magazine américain Wired. Alors âgé de 13 ans, il crée un site internet dédié aux miracles eucharistiques, dont il tente de prouver la véracité en fournissant des preuves tangibles. «Il était personnellement convaincu que les preuves scientifiques pousseraient les gens… à revenir à la messe», commente la journaliste Courtney Mares, autrice du livre Blessed Carlo Acutis – A Saint in Sneakers et correspondante à Rome pour la Catholic News Agency.

Pour le jeune homme, la période de lancement de ce site auquel il tenait tant coïncide hélas avec l’annonce d’une terrible nouvelle: on lui diagnostique une leucémie et son pronostic vital est très engagé. Il meurt le 12 octobre 2006, mais ce n’est que le début de son histoire. Des proches et des admirateurs décident de faire connaître ses travaux de recherche au plus grand nombre, tant et si bien que son site internet finit par être traduit en dix-sept langues. Peu à peu, la foule de ses adeptes grandit et certains se mettent en tête de traverser la planète afin de faire circuler une exposition consacrée à son travail. À l’heure où ces lignes sont écrites, la fameuse tournée continue de sillonner le globe.

Le long processus de canonisation

Carlo Acutis est vénéré non seulement pour son utilisation de la technologie, mais aussi pour son dévouement et sa volonté de vivre de manière vertueuse. En 2012, l’archidiocèse de Milan, où la famille du jeune homme avait déménagé lorsqu’il était enfant, a lancé les démarches visant à le faire canoniser. Mais Carlo Acutis a-t-il de quoi devenir un saint? À cet instant, il est permis d’en douter.

C’est que la procédure est longue. Il faut d’abord faire recueillir les preuves du travail sacré du candidat –on apprend au passage qu’en des temps ancestraux, l’expression «(se faire) l’avocat du diable» désignait celui qui, au contraire, était chargé d’argumenter en défaveur de la canonisation.

«Le processus d’identification d’une personne comme sainte est long, minutieux et assez bureaucratique, expose Tim Hutchings, professeur agrégé d’éthique religieuse à l’université de Nottingham (centre de l’Angleterre). Cela commence lorsque certains catholiques décident qu’ils pensent vraiment que quelqu’un devrait être un saint. Ils lancent une campagne pour prouver à leur évêque local que cette personne a vécu une vie incroyablement sainte ou qu’elle est morte pour sa foi.»

Nommé «serviteur de Dieu» en 2013, Carlo Acutis atteint le deuxième palier de l’échelle de la sainteté lorsque son corps est exhumé et placé dans un tombeau ouvert, au sein de l’église Santa Maria Maggiore (ou sanctuaire de la spoliation) à Assise, en Ombrie (centre de l’Italie), où il repose aujourd’hui, vêtu de sa tenue d’adolescent des années 2000. «C’est une belle chose que, pour la première fois dans l’histoire, on puisse voir un saint vêtu d’un jean, de baskets et d’un sweat. C’est un grand message», déclare alors le père Carlos Acácio Gonçalves Ferreira, recteur du sanctuaire.

Le tombeau du bienheureux Carlo Acutis, qui se trouve dans l’église Santa Maria Maggiore (ou sanctuaire de la spoliation) à Assise (Ombrie, centre de l’Italie). | Dobroš via Wikimedia Commons

Deux miracles reconnus par le pape

Pour obtenir qu’un défunt accède au statut de saint, il faut être en capacité de prouver qu’il a été à l’origine d’au moins deux véritables miracles. «Il faut que ce soit quelque chose qui ne peut pas être expliqué scientifiquement, donc le prouver est difficile. Par exemple, cela demande que les médecins confirment qu’ils ne peuvent pas expliquer comment une guérison s’est produite», précise Tim Hutchings. Or, en 2013, une Brésilienne affirme qu’avoir prié Carlo Acutis a aidé à guérir la malformation pancréatique de son fils. En 2020, le miracle est authentifié par le pape François, débouchant sur la béatification de Carlo Acutis.

À ce moment, «selon Google Trends, davantage de personnes recherchaient des informations sur Carlo Acutis que sur le pape», note Courtney Mares. En mai 2024, un deuxième miracle est reconnu: blessée dans un accident de vélo en 2022, une Costaricienne de 21 ans a miraculeusement guéri. Sous assistance respiratoire, elle semblait en bien mauvaise posture, mais sa mère s’est agenouillée devant la tombe de Carlo Acutis afin de prier pour son âme. Peu après, la jeune femme se rétablissait totalement, sous l’œil médusé des médecins.

Ce n’est donc plus qu’une question de mois avant que la canonisation de Carlo Acutis soit prononcée. Approuvée en juillet 2024 par le pape, elle devrait avoir lieu en 2025. «Il est remarquable que Carlo Acutis soit canonisé si peu de temps après sa naissance. Pour rappel, sur les 912 saints canonisés par le pape François, la date de naissance la plus récente remonte à 1926», précise Courtney Mares. Cela fera de lui le tout premier millennial à devenir saint, lui «le geek de Dieu» et le «saint patron du web» (même si un autre saint, Isidore de Séville, détient également cette distinction), comme il est parfois surnommé. De quoi pousser les gameurs, les codeurs et les amoureux d’internet à se convertir au catholicisme?