Cette contribution de Christian Müller, journaliste indépendant et spécialiste des médias, sur le thème «C’est ainsi que les médias suisses appellent à encore plus de guerre» correspond à l’exposé qu’il a présenté lors du colloque sur le thème «Quels médias pour la paix?» les 15 et 16 octobre 2022 à Soleure. 


Par Christian Müller*

Messieurs, Mesdames, chers participants,

C’est un plaisir pour moi de pouvoir m’adresser à vous à l’invitation des organisateurs responsables de cette rencontre. Ce dont je vais vous parler est toutefois tout sauf une joie. C’est vraiment une triste histoire!

Une assez longue lettre de lecteur – critique! – sur un sujet militaire, adressée au Badener Tagblatt en 1964, a marqué le début de mon métier de journaliste, car c’est à la suite de laquelle que le chef régional du Badener Tagblatt, Werner Geissberger, m’a demandé d’écrire plus souvent pour son journal, y compris sur d’autres sujets.

Contrairement à beaucoup de mes collègues qui ont interrompu leurs études universitaires pour pouvoir écrire davantage – ce qui était bien sûr plus amusant que d’étudier –, j’ai terminé mes études d’histoire générale et de droit public par une thèse de doctorat en histoire sociale et j’ai obtenu le titre de docteur ès lettres, notamment pour pouvoir exercer une autre activité, par exemple dans le domaine de l’éducation, et – point important! – ne jamais dépendre d’un éditeur de journaux pour des raisons financières.

Sur le plan professionnel, je suis donc devenu journaliste, puis rédacteur, chef de rubrique, membre de la direction de la rédaction et enfin adjoint personnel de l’éditeur du Badener Tagblatt Otto Wanner, jusqu’à ce que celui-ci change de couleur politique en 1978 et – pas pour la première fois de sa vie – glisse massivement vers la droite. C’est ce qui m’a poussé à quitter le Badener Tagblatt et à suivre ma propre voie en devenant rédacteur en chef de l’ancien quotidien Luzerner Neuste Nachrichten (LNN), puis manager des médias chez Ringier et, plus tard encore, conseiller indépendant dans le domaine des médias, avant de devenir PDG d’un groupe de médias suisse.

Pourquoi est-ce que je mentionne ces détails de ma vie? Ma soi-disant carrière professionnelle a commencé par la correction d’un article erroné. Cela a ensuite déterminé presque toute ma vie. Et en raison de ma dite carrière, je connais aussi les deux côtés: celui du journaliste et celui du directeur d’édition, qui est responsable du succès économique d’une entreprise de médias. J’ai également passé plusieurs années à Prague, où j’ai pu constater de près que tout ne se passe pas toujours de la même manière dans un autre pays que dans le mien, notamment dans le domaine des médias, du népotisme et de la corruption.

Malgré un parcours professionnel riche dans le domaine des médias, je n’aurais pas pu imaginer, il y a cinq ans, à quel point la scène médiatique peut changer brutalement en très peu de temps – dans le mauvais sens.

Il y a trois points que je voudrais brièvement mettre en lumière:

1) beaucoup de jeunes journalistes sont certes des professionnels formés au «journalisme» – on y apprend par exemple que pour faciliter la lecture, il ne faut pas écrire des phrases avec plus de cinq virgules. Mais ces jeunes journalistes ne connaissent pas l’histoire – l’histoire du monde! – et se trompent souvent complètement dans leurs déclarations et leurs analyses sur la manière dont un événement politique s’est produit.

2) pour des raisons de dépendance financière, ils sont aujourd’hui prêts à suivre sans contradiction les directives terribles de leurs patrons.

3) nombre d’entre eux ont définitivement abandonné le principe d’humanité qui nous est inhérent et qui consiste à préconiser et à rechercher en premier lieu un cessez-le-feu lors d’un conflit armé afin d’éviter de nouvelles victimes de guerre. Nombreux sont ceux qui sont devenus des va-t’en-guerre.

Concernant méconnaissance de l’histoire

Je cite ici un exemple facile à comprendre et qui ne concerne pas seulement un simple journaliste ordinaire, mais le rédacteur en chef du plus grand groupe de médias suisses dans le domaine des journaux régionaux et des stations de radio privées régionales, le groupe CH-Media – Aargauer Zeitung, Luzerner Zeitung, St. Galler Tagblatt et bien d’autres feuilles: le rédacteur en chef de CH-Media Patrik Müller.

Celui-ci a écrit textuellement le 5 juin 2019: «Aujourd’hui et demain, nous entendrons à nouveau de beaux discours, car nous célébrons le débarquement des troupes alliées en Normandie il y a 75 ans – le tournant de la Seconde Guerre mondiale qui a conduit à la libération de l’Europe de la terreur nazie d’Hitler.» Et le lendemain, le 6 juin, le même journal, dirigé par Patrik Müller, consacrait une double page au même événement, appelé le jour J. Gros titre: «Aujourd’hui, il y a 75 ans, commençait (sic!) la libération de l’Europe des nazis.»

Ces deux affirmations sont historiquement tout simplement fausses. Pour la première fois, les troupes de la Wehrmacht allemande et de ses alliés ont été réellement battues lors de la bataille de Stalingrad de juillet 1942 à février 1943, où les deux camps – la Wehrmacht et l’Armée rouge – ont enregistré des centaines de milliers de victimes. Puis les Allemands et leurs alliés ont été écrasés en juillet 1943 lors de la gigantesque bataille de Koursk, connue sous le nom d’«entreprise Citadelle», qui a de nouveau fait des centaines de milliers de morts dans les deux camps – et, dans les deux cas, d’innombrables victimes civiles du côté russe. Depuis ces deux batailles, les troupes allemandes étaient en retraite.

Le débarquement allié en Normandie un an plus tard, au début du mois de juin 1944 – le fameux jour J – fut certes également un événement militaire majeur de la Seconde Guerre mondiale, mais tout sauf un tournant! Même en janvier 1945, soit seulement quatre mois avant la capitulation d’Hitler, le Premier ministre britannique Winston Churchill a demandé par écrit au dirigeant de l’Union soviétique, Staline – les documents à ce sujet ont été conservés –, de ne stopper en aucun cas l’avancée de l’Armée rouge en direction de Berlin, car un transfert des troupes allemandes du front est vers le front ouest remettrait en question une entrée réussie des troupes alliées en Allemagne de l’Ouest.

Reste à savoir si le rédacteur en chef Patrik Müller n’a tout simplement aucune connaissance de l’histoire militaire et suit aveuglément la propagande politique occidentale, ou s’il déforme volontairement l’histoire pour glorifier les puissances occidentales.

Une glorification consciente des puissances militaires occidentales est toutefois nettement plus probable: à Birmenstorf, dans le canton d’Argovie, s’est à nouveau déroulée en août la grande manifestation «Convoy to Remember», lors de laquelle quelques centaines de chars et autres véhicules militaires historiques sont présentés dans un cortège en souvenir du jour J.

Cette grande manifestation – avec la participation de la «Patrouille Suisse» – s’est également déroulée sous la devise «En souvenir de la libération de l’Europe» et, selon son propre site Internet, elle a rappelé «l’invasion des Alliés en juin 1944» en Normandie. Pour le rédacteur en chef de l’Aargauer Zeitung Patrik Müller, cela aurait été l’occasion d’attirer l’attention sur le fait que cette présentation de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale est erronée. Il ne l’a pas fait.

Ce n’est qu’un exemple – éloquent – de la manière dont l’histoire est oubliée ou même délibérément déformée par les médias.

«His Masters Voice»

Il est devenu courant que les propriétaires et les patrons des grands groupes médiatiques, les éditeurs, mettent eux-mêmes la main à la pâte, en Allemagne comme en Suisse, et dictent ainsi publiquement à leurs esclaves de la plume la politique qu’ils doivent défendre et ce qu’il faut écrire.

C’est ainsi que le patron et gros actionnaire du groupe de médias allemand Axel Springer – qui comprend entre autres le quotidien Die Welt pour l’intelligentsia allemande et le journal Bild pour la grande masse –, Mathias Döpfner, a lui-même écrit un appel à ses lecteurs.1 Parmi les deux possibilités restantes, soit devenir dépendant de la Chine (avec la Russie et l’Iran), soit s’aligner clairement sur les directives des Etats-Unis, seule cette deuxième variante est envisageable pour Döpfner: une collaboration des plus étroites au sein de l’alliance transatlantique avec les Etats-Unis.Quel rédacteur ou journaliste d’un média appartenant au groupe Axel Springer a eu depuis le courage de remettre en question ou même de critiquer la collaboration transatlantique?

En Suisse aussi, il existe un exemple éminent. Le 19 mars 2022, soit à peine un mois après le début de la guerre en Ukraine, l’éditeur Peter Wanner, propriétaire majoritaire et donc patron suprême du groupe CH-Media, a placé son propre éditorial sur les premières pages de ses nombreux journaux régionaux dominant le marché.

Titre principal: «L’Occident doit se montrer ferme» [«klare Kante zeigen»].2 Comme le personnel journalistique de l’empire médiatique de Peter Wanner est continuellement réduit en raison de la baisse des recettes publicitaires et que les journalistes doivent naturellement craindre de faire partie des personnes concernées par la prochaine réduction de personnel, plus personne n’ose défendre une opinion plus nuancée ou même divergente.

La reprise des directives de son propre patron suprême s’étend jusque dans les formulations linguistiques. Peter Wanner a utilisé une formulation plutôt inhabituelle en Suisse: «klare Kante zeigen». Remo Hess, l’homme du groupe CH-Media à Bruxelles, parle d’Ursula von der Leyen le 15 septembre – également dans un titre principal: «Toujours ferme: une fois n’est pas coutume, des louanges pour Ursula von der Leyen.»

Même les responsables culturels des journaux de CH-Media n’osent plus prononcer de mots critiques. Même lorsque, lors d’un festival de musique à Saint-Gall, l’opéra «La Pucelle d’Orléans» de Piotr Ilitch Tchaïkovski est retiré3 et remplacé par «Giovanna d’Arco» de Giuseppe Verdi, parce qu’il ne serait pas acceptable que les réfugiés ukrainiens écoutent une pièce d’un compositeur russe – né en 1840 et mort en 1893 –, aucun journaliste n’ose plus critiquer de telles absurdités quasi racistes. (La Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ)4 l’a tout de même fait.)

Peter Wanner a écrit textuellement dans son éditorial en première page de ses journaux: «Poutine a déjà perdu la guerre à plusieurs égards: il l’a perdue politiquement parce qu’il est isolé dans le monde entier, il l’a perdue moralement parce qu’il est perçu comme un agresseur et un criminel de guerre, il l’a perdue sur le plan de la communication parce que Zelensky lui est ici nettement supérieur, et il l’a perdue économiquement parce que les sanctions décrétées par l’Occident déploient leurs effets et entraînent l’économie russe dans l’abîme. A cela s’ajoute le fait qu’en attaquant l’Ukraine, il n’a pas seulement renforcé la volonté de défense du peuple ukrainien et unifié la nation ukrainienne, il a également unifié l’OTAN, fait intervenir les Etats-Unis en tant que leader du monde libre et poussé les Allemands à s’armer à hauteur de 100 milliards – ainsi qu’à renoncer à leur naïve Ostpolitik.»

Le «fact checking» des affirmations de Wanner:

Poutine isolé dans le monde entier? C’est un non-sens. Rien qu’au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à la mi-septembre à Samarkand, les chefs de gouvernement de nombreux pays, qui représentent ensemble bien 40% de la population mondiale, étaient présents. Ils ont tous tendance à se ranger du côté de la Russie plutôt que de celui des Etats-Unis. Pratiquement toute l’Amérique latine et pratiquement toute l’Afrique ne sont pas du tout intéressées par la guerre en Ukraine. La population de l’Ukraine représente (encore) à peine 0,7% de la population mondiale, pourquoi un isolement de Poutine «dans le monde entier» devrait-il se produire?

Perdu moralement la guerre? Oui, on peut dire cela, justement à cause des médias occidentaux – CH-Media inclus! La politique antirusse des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et des autres pays de l’OTAN avec leurs provocations massives contre la Russie (extension de l’OTAN vers l’Est, bases de missiles en Pologne et en Roumanie, manœuvres gigantesques de l’OTAN à la frontière russe et refus de donner des garanties de sécurité à la Russie en décembre 2021, pour ne citer que quelques faits) est tout simplement passée sous silence dans la plupart des médias. Il s’agit précisément pour les médias de positionner Poutine comme seul coupable «moral».

Perdu la guerre sur le plan de la communication? Oui, parce que les médias occidentaux ont fait de Volodymyr Zelensky un saint moderne et passent tout simplement sous silence ses propres méfaits – par exemple son refus de respecter l’Accord de Minsk II, la fermeture de tous les médias d’opposition en Ukraine, mais aussi et surtout le pilonnage du Donbass qui dure depuis huit ans.

Perdu sur le plan économique? C’est un non-sens total. Les sanctions contre la Russie nuisent bien plus à l’économie de l’UE qu’à celle de la Russie. Toute l’Europe occidentale souffre déjà de la politique économique anti-russe quasi suicidaire de l’UE.

La nation ukrainienne unie? Et qu’en est-il du Donbass, dans le sud-est de l’Ukraine, qui est régulièrement bombardé par les troupes ukrainiennes depuis 2014 et qui a déjà fait au moins 15 000 morts? Cela aussi est systématiquement passé sous silence dans les médias occidentaux.

L’OTAN unie? La Turquie refuse toujours d’accepter l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN – mais menace de son côté plus clairement que jamais la Grèce, membre de l’OTAN, de guerre et d’occupation des îles de la mer Egée. Une OTAN unie?

Fait intervenir les Etats-Unis en tant que leader du monde libre? La réalité est exactement l’inverse: les Etats-Unis sont déjà intervenus massivement lors de l’Euromaïdan à Kiev en 2014, avec de très gros moyens financiers et même avec une apparition personnelle du sénateur républicain américain John McCain,5 qui a demandé aux manifestants de tenir bon du haut de la tribune. Et qui ont depuis tout fait pour réarmer militairement l’Ukraine et former le personnel militaire au maniement des armes modernes. Les Etats-Unis n’ont pas attendu la guerre en Ukraine pour se mettre en avant, ils sont eux-mêmes coresponsables de cette guerre.

Question rhétorique: au cours des 30 semaines qui se sont écoulées depuis l’éditorial à la une de l’éditeur Peter Wanner contenant ces affirmations, quelqu’un a-t-il pu lire dans les journaux dont il est responsable un article dans lequel ces affirmations étaient nuancées, relativisées ou même présentées comme fausses? L’amère réalité des médias d’aujourd’hui est que lorsque le chef a parlé, tout est communiqué tel qu’il l’a prescrit – sans aucun respect des faits.

Mais pourquoi je ne parle jusqu’à présent que des journaux de CH-Media? Je peux faire la même démonstration au sujet de la Neue Zürcher Zeitung (NZZ). Le 27 août, le rédacteur en chef Eric Guyer a placé à la une du journal, le tire: «Poutine a perdu». Il affirme lui aussi que l’OTAN est désormais plus forte que jamais. «L’Occident est uni dans la mesure de ses possibilités. L’OTAN, déjà déclarée en état de mort cérébrale en raison du franc-parler de Trump, est plus robuste que jamais. Dans un échange conventionnel, la Russie ne constitue aucune menace pour l’Alliance.» Là encore, pas un mot sur les problèmes au sein de l’OTAN.

L’appel à la guerre

Mais ce qui est particulièrement effrayant, ce sont les commentaires des journalistes dans lesquels ils s’opposent explicitement aux négociations de l’Ukraine avec la Russie et affirment clairement que cette guerre doit être menée et gagnée sur le champ de bataille – dans le but d’affaiblir militairement et politiquement la Russie. Un comportement humain normal serait d’appeler à un cessez-le-feu afin d’éviter de nouvelles victimes de guerre – des deux côtés, notons-le.

J’ai entendu de divers sources privés une bonne comparaison: deux garçons, l’un de 16 ans et l’autre de 8 ans, se disputent et se frappent. Leur mère intervient alors – et que fait-elle? Elle s’approche d’eux, tente de les séparer et crie «arrêtez de vous battre!» Aucune mère, ni aucun autre être humain sensé, ne mettrait un couteau ou même une hache dans la main du plus jeune garçon pour qu’il puisse frapper plus efficacement ou même tuer le plus grand et le plus fort. Cependant, c’est exactement ce que font les pays occidentaux actuellement: ils fournissent au plus faible, l’Ukraine, des armes et des munitions – et lesquelles! – pour pouvoir mieux frapper et nuire au plus fort! Ils appellent à la guerre, avec des dizaines, voire des centaines de milliers de victimes, militaires mais aussi civiles. C’est un comportement absolument inhumain!

Ces appels à la guerre sont réels! Lorsque le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, appelle à mettre fin à cette guerre en Ukraine sur le champ de bataille, il s’agit là aussi – c’est mon opinion claire – d’un crime de guerre. Mais si même des journalistes appellent à mettre fin à cette guerre non pas par des négociations, mais sur le champ de bataille, qu’est-ce que c’est? Et de tels appels sont une réalité amère.

Lorsque le chancelier autrichien Karl Nehammer s’est rendu à Moscou à la mi-avril pour s’entretenir avec Poutine, Fabian Hock, le responsable de la rubrique étrangère des journaux CH-Media, a vivement critiqué Nehammer le 11 avril: «Cette visite n’est pas seulement inutile, elle est dangereuse. Et elle est un exemple absurde d’erreurs d’appréciation occidentales face au bellicisme du Kremlin.» Et Fabian Hock de conclure:6 «Il n’y a qu’une seule façon de faire reculer Poutine: la Russie doit être vaincue militairement.»

L’appel à stopper non seulement Poutine, mais «les Russes», fait partie du même chapitre. Le même Fabian Hock, responsable de la rubrique étrangère de tous les journaux CH-Media et particulièrement fidèle à l’appel des éditeurs à faire preuve de «fermeté», a – concernant le débat sur l’octroi de visas aux touristes russes – déclaré textuellement: «Ce n’est pas seulement la guerre de Poutine. C’est la guerre de la Russie. Une partie de la population, très indifférente, passe ses vacances en Europe comme si de rien n’était grâce aux visas touristiques. C’est tout simplement inacceptable.» Cette remarque de Fabian Hock est, soit dit en passant, également un exemple typique d’une massive surestimation européenne. Il y a assurément des endroits magnifiques où passer ses vacances aussi ailleurs que dans l’UE!

Sur ce point également, de nombreux exemples peuvent être mentionnés, y compris dans la NZZ. Le 30 août, pour ne citer qu’un exemple, ce journal a publié un article d’une page entière d’un auteur allemand du nom de Jörg Himmelreich avec le titre significatif: «L’héritage de violence asiatique de la Russie». Et dès le chapeau, on pouvait lire la phrase suivante: «Après 1989, on a cru que Moscou pouvait trouver sa place dans la Maison européenne.» Puis viennent les explications sur les raisons pour lesquelles la Russie n’est justement pas et ne peut pas être un représentant des «valeurs européennes». Tout ce long article déborde de haine raciale et de haine envers les Russes. On trouve également un long article dans la NZZ du 25 octobre: «Les Russes restent passifs». Ici aussi: les Russes …

On pouvait également lire des choses inconcevables à la une de la NZZ du samedi 15 octobre, écrites par le rédacteur en chef Eric Guyer en personne:7 «Une dissuasion crédible est donc aujourd’hui encore le meilleur moyen d’empêcher l’utilisation d’armes nucléaires.» Et ailleurs: «Ceux qui refusent les livraisons d’armes en justifiant leur position par le risque croissant de guerre nucléaire se trompent. C’est le contraire qui est vrai. La fermeté dans la sphère conventionnelle est la meilleure protection contre une escalade nucléaire.»

Le paragraphe final de cet éditorial d’Eric Guyer: «Ceux qui n’ont pas compris cela, ce sont une fois de plus de nombreux Européens et surtout les Allemands. Les quatre cabinets de Merkel ont refusé d’acheter de nouveaux avions, qui représentent la contribution allemande à la dissuasion de l’OTAN. Avant la guerre en Ukraine, les trois partis de la coalition rouge-jaune-verte se sont également prononcés contre cette ‹participation nucléaire›. Ils flirtaient en outre avec l’idée d’une interdiction des armes nucléaires. La Russie et la Corée du Nord s’y tiendraient certainement. Cette chimère a également été poursuivie par le Parlement suisse qui, en politique étrangère, se sent responsable de ce qui est vrai, beau et bon dans le monde. – L’Europe est un endroit dangereux depuis la guerre d’agression de Poutine. Pour qu’elle ne devienne pas encore plus dangereuse, il faut plus de réalisme – y compris dans la gestion des armes nucléaires.»

Ainsi, tous ces journaux suisses appellent non seulement à ne pas mener de négociations avec la Russie, mais à gagner cette guerre sur le champ de bataille et donc à livrer des armes, toujours plus d’armes et toujours de meilleures armes à l’Ukraine. Et ces mêmes journaux appellent également à la haine raciale, à la haine contre tous les Russes, comparable à la haine contre les Juifs à laquelle appelaient les nazis de l’époque. De tels journalistes devraient également pouvoir être traduits en justice en tant que criminels de guerre. Malheureusement, une telle incitation à la guerre n’est pas encore justiciable – mais elle constitue tout de même une matière pour les historiens de demain.

Mesdames, Messieurs, vous ici présents – la plupart d’entre vous membres d’une organisation qui s’engage pour la paix – avez tout à fait raison: où que la guerre soit menée par la force des armes, par qui et avec qui que ce soit: il n’est pas seulement absolument essentiel d’empêcher une guerre nucléaire qui pourrait conduire à la destruction de toute l’humanité. Nous devons également lutter contre toute guerre de moindre envergure, non pas avec des armes, mais avec nos voix et nos écrits. Et nous devrions en arriver à ce que non seulement les chefs de guerre militaires puissent être traduits en justice en tant que criminels de guerre, mais aussi les propriétaires et les patrons de ces groupes de médias privés qui appellent à la guerre – en particulier à la guerre dans un autre pays. Et aussi les journalistes qui obéissent sans résistance à leurs patrons bellicistes!

Vingt ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1965, le journaliste allemand le plus connu de l’époque, Paul Sethe, écrivait: «La liberté de la presse, c’est la liberté pour deux cents personnes riches de diffuser leurs opinions.»

Cette maxime est toujours valable aujourd’hui, sauf qu’aujourd’hui, dans l’espace germanophone, il n’y a probablement plus que 20 personnes riches, et non plus 200 comme à l’époque, qui ont «la liberté de diffuser leurs opinions». Notre ordre économique néolibéral n’a pas seulement pour conséquence que la classe moyenne se réduit de plus en plus, que de plus en plus de personnes s’appauvrissent et que l’argent coule vers le haut – vers les riches. La liberté d’expression se perd également de plus en plus dans les couches moyennes et inférieures et devient de plus en plus le privilège de ceux qui ont les caisses pleines. Les néoconservateurs américains nous montrent à nouveau très concrètement de quelle manière l’ordre économique néolibéral et la manipulation de l’opinion au profit de l’hégémonie mondiale des Etats-Unis sont étroitement imbriqués.

Je vous remercie de votre attention.

* Christian Müller, né en 1944, a étudié l’histoire et le droit public à l’Université de Zurich, où il a obtenu un doctorat. Il a étudié l’économie d’entreprise à la Haute école de commerce de Saint-Gall (à l’époque). Puis, il a exercé 28 ans de journalisme actif auprès de différents quotidiens et hebdomadaires suisses à différents postes (rédaction et rédacteur en chef) ainsi que 20 ans de management d’édition (direction, CEO, conseil d’administration dans différents médias). Depuis de nombreuses années, il dirige sa société de consulting Commwork AG, à temps plein ou à temps partiel et depuis mars 2022, il est l’éditeur de la plateforme en ligne https://globalbridge.ch. Christian Müller a un fils et une fille et vit en deuxième mariage entre la Suisse, l’Italie et la République tchèque.

1)https://www.infosperber.ch/politik/europa/axel-springer-medien-doepfner-ruft-zu-neuem-kalten-krieg-auf/

2)https://www.aargauerzeitung.ch/meinung/kommentare/leitartikel-des-verlegers-der-westen-muss-seine-feigheit-ueberwinden-und-putin-endlich-in-die-schranken-weisen-ld.2265259

3)https://www.faz.net/aktuell/feuilleton/st-gallen-sagt-tschaikowskys-jungfrau-von-orleans-ab-17975658.html

4)https://www.faz.net/aktuell/feuilleton/st-gallen-sagt-tschaikowskys-jungfrau-von-orleans-ab-17975658.html

5)https://www.infosperber.ch/politik/welt/senator-john-mccains-aufruf-in-kiev-bleibt-unvergessen/

6)https://www.tagblatt.ch/international/ukraine-krieg-ein-irrweg-nach-moskau-der-besuch-von-kanzler-nehammer-nutzt-nur-kriegstreiber-putin-ld.2275301

7)https://www.nzz.ch/meinung/ein-atomkrieg-putins-in-der-ukraine-waere-fuer-russland-ein-debakel-ld.1706905?reduced=true

Source : Point de vue Suisse (schweizer-standpunkt.ch)