Des dizaines de familles de personnes sans-papiers ont besoin d’un hébergement d’urgence à Amiens. Fin novembre, la Préfecture a ouvert 100 places dans le cadre du plan grand froid, dispositif qui prend fin le 31 mars. Les concernés et les associations qui les aident redoutent cette date et l’incertitude qu’elle annonce. Chaque jour, Maria* se plie à la même routine : elle réveille ses trois enfants à 7 heures, les lave, les nourris et les prépare à sortir. À neuf heures précises, tous les quatre sortent de leur accueil de nuit pour se rendre à l’accueil de jour. Ils peuvent y séjourner jusqu’à 18 heures, ils doivent ensuite faire le chemin inverse pour retourner dans les lieux où ils sont hébergés depuis la fin du mois de novembre. “Les enfants me disent “Maman, je suis fatigué”, ils veulent dormir un peu…”, déplore cette maman dont la demande d’asile a été refusée. À ce recommencement s’ajoute un point d’interrogation chaque semaine : “Nous appelons le 115 tous les lundis, entre 9 heures et 14 heures, puis on retourne au même endroit pour dormir. Je peux rester de lundi à dimanche, le lundi matin, je ramène toutes les affaires et je rappelle le 115” détaille Maria. Malgré tout, cette situation est une amélioration par rapport à l’automne, où ses enfants et elle dormaient à la rue, comme une vingtaine d’autres familles. Dans le cadre du plan grand froid, la préfecture a débloqué, fin novembre, une cinquantaine de places d’accueil de nuit et autant d’accueil de jour. Mais tout cela prend fin à l’issue de la trêve hivernale. “J’ai peur, car je ne sais pas comment faire après le 31 mars, avec les enfants” déplore Maria. Tout commence à la fin du mois de juin, explique Martine Tekaya, vice-président de l’association Femmes solidaires et membre du Réseau éducation sans frontières (RESF) : “les budgets du 115 ont été diminués et des familles migrantes sans papiers ont été, au fur et à mesure, mises à la rue. RESF s’est mobilisé pour trouver des solutions, car c’est inadmissible, dans un pays comme la France, de voir des familles dormir à la rue. Il y a des familles qui dormaient au Parc Saint-Pierre, des familles qui dormaient dans des cages d’escalier.” À Amiens, 150 personnes se sont rassemblées pour dénoncer la mise à la rue de familles étrangères avec enfants➡️ https://t.co/OqAJ5plVEZ pic.twitter.com/bHxV7FCwQr A l’époque, RESF lance un appel au don et collecte 16 000 €, de quoi héberger certaines familles dans une auberge de jeunesse pendant quelques mois. “Fin octobre, nous étions au bout de notre financement, donc on a dû laisser ces familles à nouveau à la rue, regrette Martine Tekaya. Nous n’avons malheureusement pas pu l’éviter et nous l’avons très mal vécu.” RESF se mobilise et organise plusieurs rassemblements pour interpeller les autorités, fin novembre, la Préfecture de la Somme ouvre ces fameux hébergements d’urgence pour une durée limitée. “Notre grande inquiétude c’est “que va-t-il se passer fin mars ?” puisque cette période hivernale se termine le 31 mars. On sait que ces appartements sont disponibles jusqu’au 31 mars, ils doivent être démolis au mois de juin, donc que vont devenir ces familles, ces mamans isolées, début avril ?” interroge Martine Tekaya. “Il faut que l’argent public serve à ce que ces personnes aient une solution d’hébergement digne” Difficulté supplémentaire, les délais de traitement des demandes de régularisation des familles qui peuvent y prétendre et la difficulté croissante à obtenir un rendez-vous en préfecture pour déposer les demandes. “Les rendez-vous ouvrent soit le mardi, soit le mercredi, soit le jeudi, donc il faut passer trois jours sur un ordinateur et être pile-poil au moment où les rendez-vous ouvrent pour essayer d’en avoir, souffle Martine Tekaya. Puis le traitement est très long, donc on attend désespérément que des familles puissent être régularisées.” Ces situations dramatiques interpellent également l’opposition municipale d’Amiens et en particulier Evelyn Becker, élue du Groupe Amiens C’est L’Tien et membre de La France Insoumise (LFI). L’hébergement d’urgence est une mission qui revient à l’État, comme le rappelle le Conseil d’État dans sa décision du 13 juillet 2016 “en vertu du Code de l’action sociale et des familles, c’est l’État qui a la charge d’assurer à toute personne sans-abri et en situation de détresse médicale, psychique ou sociale un hébergement d’urgence.” Le département peut aussi intervenir dans le cadre de ses missions de protection de l’enfance, pour mettre à l’abri de jeunes enfants. “Plus un enfant sans toit dans la Somme en cette fin 2023”: #RESF appelle au rassemblement ce vendredi à 19h, devant la Macu, à #Amiens https://t.co/VVo1waA4ma pic.twitter.com/BTY9K1RkBU Mais pour Evelyn Becker, la municipalité d’Amiens a aussi un rôle à jouer : “la mairie a la possibilité, via son CCAS (NDLR : le centre communal d’action sociale) de mettre en place des centres d’hébergement d’urgence. Il y a des villes qui l’ont fait, comme récemment la ville de Montreuil qui a mis un gymnase à disposition de familles pour qu’elles puissent dormir. Si c’est une compétence de l’État, nous proposons d’interpeller la préfecture par le biais d’un vœu afin qu’il y ait plus de moyens et une véritable prise en compte de ces personnes qui dorment dans la rue. Il y a des familles, il y a des enfants qui dorment dans la rue, aujourd’hui, on ne peut pas laisser faire ça, la mairie regarde ailleurs pendant ce temps.” “Nous avons à deux reprises formulé le vœu d’interpeller l’État par le biais du conseil municipal, ça a été refusé deux fois, au CCAS et à la mairie, déplore Evelyn Becker. Dans le cadre du plan grand froid, en collaboration avec l’État, la mairie a mis à disposition une salle pour l’accueil de jour et quelques appartements pour l’hébergement d’urgence. Mais ce n’est qu’une action temporaire, or ce n’est pas que quand il fait froid que les familles dorment à la rue.” “Même ce plan grand froid ne suffit pas à toutes et tous, il y a des familles qui continuent de dormir à la rue, ce n’est pas suffisant. Il y a des associations qui ont été obligées d’engager des dépenses importantes, notamment RESF, pour lesquels nous avons demandé un soutien financier de la mairie, soutien qui a été refusé. Aujourd’hui, ces associations pallient les manquements de l’État et de la mairie et il n’est pas possible de continuer de la sorte, il faut que l’argent public serve à ce que ces personnes aient une solution d’hébergement digne” conclut l’élue d’opposition. En attendant, dans l’après-midi du 1ᵉʳ janvier, Maria attendait avec anxiété la réponse du 115 pour pouvoir ramener ses affaires là où elle dort depuis un mois avec ses enfants. Pour eux, le retour du printemps n’annoncera pas nécessairement les beaux jours. *À sa demande, nous avons modifié le prénom de cette personne afin de préserver son anonymat.