Un an après l’auto-proclamation par le Polisario d’une «république», un document du Département d’Etat américain a indiqué que les camps de Tindouf abritaient des «réfugiés» issus de régions extérieures du Sahara occidental. Selon la même source, l’Algérie a utilisé le Polisario contre la Mauritanie et pour en découdre avec le Maroc. Dans le contexte de l’intensification de la guerre dans le Sahara, le gouvernement américain a publié, le 16 décembre 1977, un rapport secret intitulé «Le Front Polisario : la quatrième partie dans l’équation du Sahara», les trois plus importantes étant le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie. Désormais déclassifié, ce rapport rédigé par le Bureau of Intelligence and Research (INR) indique que le mouvement séparatiste a fondé sa proclamation de «République sahraouie» sur environ «30 000 à 80 000» personnes. «La photo du Front Polisario apparue dans la presse occidentale sympathisante, celle d’un groupe de réfugiés de l’ancien Sahara espagnol ayant pris les armes pour lutter pour l’autodétermination contre les forces d’invasion de la puissance occupante, est inexacte», fait savoir le document. Le long rapport explique que le Polisario a délibérément gonflé le nombre des habitants des camps de Tindouf, si bien qu’«une grande partie des Sahraouis rassemblés dans ces camps en Algérie ne sont pas originaires de l’ancien Sahara occidental». «La tribu Rguibat, traditionnellement indépendante et guerrière, qui comprend de nombreux membres originaires de Mauritanie, d’Algérie et du Maroc, constitue l’épine dorsale de la direction et des bases du Polisario», souligne la même source. «Les dirigeants du Polisario, du moins certains parmi eux qui sont des dissidents de gauche de la Mauritanie et du Maroc, sont des alliés idéologiques de l’Algérie. Leurs objectifs pourraient inclure le renversement du régime d’Ould Daddah en Mauritanie.» Le rapport souligne que même si «le recensement espagnol de 1974 a confirmé que 74 000 habitants sahraouis étaient des locaux du Sahara espagnol», l’Algérie et le Front Polisario affirment «publiquement qu’il existe plus de 100 000 réfugiés du Sahara occidental». Dans ce sens, «l’Algérie refuse obstinément de permettre une enquête précise sur le nombre et l’origine de la population rassemblée dans les camps de Tindouf, ce qui rend ces affirmations discutables», ajoute encore le document. L’autre récit de Bachir Dkhil #2 : Comment le Polisario a évolué d’un front de résistance à un mouvement séparatiste Pour sa part, le Maroc souligne qu’il n’existe que «15 000 anciens habitants originaires» du Sahara occidental, dont la plupart y ont été «attirés ou escortés» par les milices du Polisario et dont «beaucoup sont actuellement détenus». «La nature nomade des Sahraouis, qui ont traditionnellement ignoré les frontières nationales, fait que la population de la région fluctue considérablement, en fonction des conditions saisonnières et climatiques. Cependant, il est clair qu’au cours des deux dernières années, l’Algérie et le Front Polisario ont accumulé peut-être 30 000 à 80 000 Sahraouis, capables d’afficher admirablement devant les observateurs étrangers leur désir de liberté et de retour au “foyer” sahraoui… Les camps de réfugiés abritent également un grand nombre, peut-être une majorité, de Sahraouis venus d’autres régions du Sahara (Algérie, Mauritanie, Mali ou encore Maroc), soit pour échapper à la sécheresse au Sahel, soit parce que les porte-parole de l’Algérie et du Front Polisario leur ont dit de venir.» Le Département d’Etat américain a alors confirmé qu’«il est également vraisemblable que l’Algérie a utilisé le Front Polisario afin de punir la Mauritanie pour “trahison” et paralyser le Maroc, son seul concurrent géopolitique dans la région». Selon la même source, il n’était pas connu, à ce moment-là, «dans quelle mesure l’Algérie est directement impliquée dans les opérations militaires du Polisario». Pour autant, «les preuves suggèrent que des conseillers algériens accompagnent le Polisario dans ses missions et que nombre d’entre eux commandent en réalité diverses unités du Polisario, constituées de Sahraouis qui ne sont pas originaires de l’ancien Sahara espagnol», ajoute le rapport. Le même document confirme la présence d’un soutien algéro-libyen «important» au Front Polisario. Il précise que le contingent des milices du Front est estimé entre «3 000 et 6 000 combattants». «Bien que le Polisario compte principalement sur l’Algérie en termes d’armement, de formation et de logistique, la Libye a été également une source d’armes et de soutien financier», souligne-t-on. Le rapport confirme que l’Algérie travaille avec le Polisario pour «politiser la population des camps», notant qu’à cet effet, elle a «mis en œuvre un programme d’endoctrinement des réfugiés sahraouis», regroupés dans un espace entre 20 et 30 camps, soumis à une formation politique et militaire visant à les préparer au retour dans un Etat sahraoui indépendant». «On ne connaît pas l’ampleur du rôle de l’Algérie dans l’élaboration des objectifs et de la stratégie du Polisario. Mais il est clair que les motivations de l’Algérie vont au-delà d’un simple souci des droits des Sahraouis à l’autodétermination. A bien des égards, les fins du Polisario sont cohérentes avec les desseins régionaux apparents de l’Algérie.» Le rapport souligne que «l’Algérie utilise un groupe puissant de nationalistes sahraouis pour atteindre ses propres objectifs nationaux». Cependant, «leurs intérêts communs ne doivent pas occulter l’existence de visées qui en divergent au sein la direction du Polisario». Cette interprétation américaine du contrôle d’Alger sur le mouvement séparatiste et de son exploitation pour attaquer le Maroc a été précédemment confirmée par Bachir Dkhil, l’un des fondateurs du Front, auprès de Yabiladi. Bachir Dkhil : «L’objectif principal d’Alger est de pérenniser le conflit au Sahara et non le résoudre» Lors d’un précédent entretien, l’ex-cadre du mouvement a en effet affirmé que l’Algérie «avait des comptes à régler avec Maroc et a trouvé dans le Polisario un cheval de Troie pour resserrer l’étau sur le royaume». Bachir Dkhil a rappelé notamment que «le discours de l’ancien président algérien Houari Boumédiène (1965 – 1978) l’avait bien affirmé, en 1976 à l’occasion de la Fête du travail, en promettant de mettre ‘un caillou dans la chaussure du Maroc’». «Quel est ce caillou ? Ce sont les Sahraouis partisans du Polisario», a déclaré Dkhil à Yabiladi. Selon lui, «l’Algérie ne veut pas l’indépendance du Sahara, mais veut plutôt mettre un caillou dans la chaussure du Maroc, car elle sait que si le Sahara devient indépendant, les Sahraouis algériens exigeront à leur tour une sécession».