Dans une enquête parue ce 27 septembre, le média d’investigation Lighthouse Reports, en collaboration avec plusieurs quotidiens, révèle une campagne de fichage au cœur de laquelle figure une société étasunienne visant à défendre les intérêts des géants de l’agrochimie. Les réactions politiques ont été étonnamment peu nombreuses en Europe.
C’est un pavé jeté dans la mare de l’agrochimie américaine. Ce 27 septembre, des informations obtenues par le média d’investigation Lighthouse Reports et partagées avec plusieurs quotidiens jettent la lumière sur la nature du travail mené par une société américaine de gestion de réputation : v-Fluence.
Selon ces informations, cette entreprise, dirigée par l’ex-directeur de la communication de Monsanto Jay Byrne, a mis à disposition des grands noms de l’agro-industrie une plateforme baptisée «Bonus Eventus», sur laquelle seraient répertoriées des informations sur près de 500 personnalités considérées comme «critiques», parmi lesquelles figurent des scientifiques, des militants écologistes, des journalistes et même des experts des Nations unies.
Une base de données à laquelle «des cadres des principaux fabricants de pesticides et des biotechnologies ont accès, depuis plusieurs années», a expliqué le quotidien français avec lequel Ligthouse Reports a partagé les informations obtenues. Le titre de presse qualifie notamment cette fameuse plateforme de «boîte noire de la guerre de l’information que livrent les industriels de l’agrochimie et des biotechnologies à ceux qu’ils considèrent comme des opposants.»
Une précision de «profilage» inédite
Selon l’enquête de Lighthouse Reports, la précision de ce «profilage» est inédite et touche des personnalités de différentes nationalités. On y retrouve ainsi des informations «comme leur adresse personnelle et leur numéro de téléphone», ainsi que «des critiques qui dénigrent leur travail», est-il stipulé.
Le quotidien français entre davantage dans le détail, évoquant des informations sur «la famille, la vie privée, le patrimoine et les revenus» ou encore les «antécédents judiciaires éventuels», les «opinions politiques», ainsi que les «informations trompeuses et malveillantes». «La nature des informations collectées laisse peu de doute sur la volonté de discréditer les cibles ou de les déstabiliser», a ajouté le média.
L’accès à ces informations est limité par un identifiant et un mot de passe, attribués par l’entreprise v-Fluence. Un millier de personnes pourraient y accéder, parmi lesquels des cadres de l’industrie agrochimique et semencière, des consultants en communication, des blogueurs, des lobbyistes, des responsables de l’administration américaine, et des experts et scientifiques souvent en lien avec des industriels.
Between 2013-19, USAID paid this company, v-Fluence, around $400,000 to build a “private social network” to counteract critics of “modern agriculture approaches” in Africa & Asia. Several USAID employees are also members of the private network.
Many more @USDA employees are…
— Lighthouse Reports (@LHreports) September 27, 2024
Par ailleurs, les auteurs de l’enquête mettent directement en cause l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui aurait versé à v-Fluence plus de 400 000 dollars entre 2013 et 2019 «pour des services tels que la “surveillance renforcée” des détracteurs des “approches agricoles modernes” – et pour la création de Bonus Eventus».
Des contrats auraient également été passés entre l’USAID et Eventus afin de créer un «réseau social privé», est-il encore stipulé dans l’enquête. Ce réseau social, révèle The Guardian, avait pour but de «contrer la résistance aux pesticides et aux cultures génétiquement modifiées (GM) en Afrique, en Europe et dans d’autres parties du monde, tout en dénigrant les méthodes agricoles biologiques et autres méthodes alternatives». Selon cette même source, «30 responsables gouvernementaux» figureraient parmi les membres de ce réseau social, «la plupart d’entre eux travaillant au ministère américain de l’Agriculture (USDA)», est-il encore stipulé.
Toujours de paire avec le gouvernement américain, le quotidien britannique ajoute que v-Fluence aurait fourni des données dans le cadre d’un contrat de près de 5 millions de dollars passé entre l’USDA et la société de communication White House Writers Group (WHWG), visant à «saper la stratégie de l’UE “de la ferme à la table”, qui vise à réduire l’utilisation des pesticides de 50% d’ici 2030».
«Le lobby de la chimie est l’un des plus puissants au monde», souligne une écologiste française
À la suite de ces révélations, les réactions d’élus écologistes n’ont pour l’heure pas été nombreuses, en particulier en Allemagne. Côté français, c’est l’eurodéputée Marie Toussaint, tête de liste des Écologistes lors des élections européennes, qui est montée au créneau. «Le lobby de la chimie est l’un des plus puissants au monde», a-t-elle réagi sur X (ex-Twitter). «Ils espionnent sans vergogne militants et scientifiques. Ils paient des sommes monstrueuses pour influencer les décisions publiques. Leur but : toujours plus de profits, au détriment de la santé», a-t-elle accusé.
Le lobby de la chimie est l’un des + puissants au monde.
Ils espionnent sans vergogne militants et scientifiques.
Ils paient des sommes monstrueuses pour influencer les décisions publiques.
Leur but: toujours plus de profits, au détriment de la santé.https://t.co/QBBlU1VAww
— Marie Toussaint 🌍🌏 (@marietouss1) September 27, 2024
Quelques associations ont également réagi, à l’instar d’Arc 2020. Greenpeace, France Nature Environnement ou encore Réseau Action Climat ne se sont pour l’heure pas prononcés sur ce sujet.
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