Elon Musk et Kim Stanley Robinson se sont rencontrés en 2001 lors d’un dîner de la Mars Society, un club de chercheurs qui promeut la colonisation de la planète rouge. Kim Stanley Robinson aurait pu inventer Musk : dans une nouvelle sobrement intitulée Elon, l’auteur aurait conté l’histoire d’un ingénieur un peu perché, devenu capitaine d’un vaisseau intergalactique chargé de sauver l’humanité d’un péril imminent. Dans la vraie vie, l’inverse s’est produit. Elon Musk s’est nourri de l’œuvre de Robinson pour écrire le roman de sa vie et bâtir un empire au service d’une idée folle qu’il vend à la planète entière depuis plus de vingt ans : emmener l’homme sur Mars pour y créer une nouvelle branche de l’humanité. Au panthéon des grands écrivains de science-fiction, Kim Stanley Robinson a une place de choix, quelque part entre Isaac Asimov (Cycle des robots, Cycle de fondation), Arthur C. Clarke (2001, l’Odyssée de l’espace) et le très prolifique Robert A. Heinlein. Son œuvre majeure, La Trilogie martienne, publiée entre 1992 et 1996 a été un succès planétaire. Ces trois pavés racontent sur quatre générations la terraformation de la planète rouge. Pas de sabre laser, pas de croiseurs interstellaires, pas de créature extraterrestre menaçante. Chez Robinson, le temps se dilate. Il faut s’accrocher, dépasser les longues descriptions scientifiques pour se couler dans les histoires inventées par ce septuagénaire qui vit reclus dans le havre écolo de Davis, en Californie. Robinson n’est pas un écrivain de l’ère Twitter ni un auteur de page turner, mais plutôt un genre de Stendhal de la SF. Pendant longtemps, les visiteurs qui entraient dans le bureau de Musk au siège de SpaceX à Hawthorne étaient accueillis par trois grandes affiches punaisées au mur, illustrant la métamorphose de la planète Mars : Mars la rouge, Mars la verte, Mars la bleue. Chez Musk, rien ne doit au hasard et le clin d’œil à Robinson est appuyé. Biberonné aux comics américains et aux sagas de l’âge d’or de la SF, le patron a même baptisé son family office, le fonds qui gère sa fortune personnelle, Excession, du nom d’une nouvelle d’un autre auteur de science-fiction, Iain Banks. Alors forcément, l’envie nous a titillés de savoir ce que pense Robinson des projets du bouillant PDG. “Je l’admire”, nous a répondu tout de go l’écrivain. “Je l’admire parce qu’avec SpaceX et surtout Tesla, il a aidé au développement de technologies qui vont permettre à la civilisation de lutter contre le changement climatique en abaissant les émissions de CO2. Je l’admire aussi car il a eu le courage d’avouer publiquement, lors d’un show télévisé, ses propres neurodivergences. Dans le monde d’aujourd’hui, celui des médias sociaux, où il faut être clivant, on est soit un héros, soit un méchant. Musk n’est ni l’un ni l’autre. Il est manifestement intelligent, dynamique et imaginatif, mais pas au point de devoir être craint ou adulé.” Les deux hommes se sont rencontrés en 2001 lors d’un dîner de la Mars Society, un club de chercheurs qui promeut la colonisation de la planète rouge. A l’époque, Musk n’est qu’un de ces millionnaires de la tech, un “parvenu” qui s’ennuie ferme après avoir été mis sur la touche chez Paypal. “On a eu une conversation sympa et, par la suite, je suis allé plusieurs fois chez SpaceX pour faire des conférences auprès des salariés de la boîte”, poursuit Robinson. “Et son projet de conquête martienne ?”, demande-t-on. Là, les choses se gâtent et son avis est nettement moins élogieux : “Il est obsédé par Mars et je le comprends : moi aussi, je l’ai été pendant près de vingt ans. Mais ce qui est clair, c’est que Musk sous-estime totalement les risques d’un voyage aussi long dans l’espace et les dangers extrêmes d’une vie sur Mars. Son rêve martien, c’est de la mauvaise science-fiction. Aujourd’hui, l’urgence n’est pas d’aller conquérir une autre planète mais de tout faire pour sauver la Terre”, tacle Kim Stanley Robinson. Dans son dernier roman, Aurora, qui relate l’échec d’une mission vers une planète inconnue, l’écrivain met en scène une intelligence artificielle qui sauve le vaisseau et accompagne l’équipage tout au long du retour vers une Terre rongée par la pollution. Sur l’IA, aussi, Musk fait fausse route en agitant le chiffon rouge, attaque l’auteur. “ll suffit de considérer l’IA comme un ‘calcul extrêmement rapide’ pour qu’elle devienne moins effrayante et moins intéressante, tout en correspondant mieux à ce qu’elle fait. Le mot ‘intelligence’ est trop large dans ses significations pour être utile dans la réflexion sur ces machines”, conclut Robinson. L’histoire nous dira quelle place il réserve aux rêves muskiens dans ses prochains romans.