ENQUÊTE – Le musicien se produit ce 25 décembre. Avec Versailles 400, concert immersif en direct et en réalité virtuelle, il compte bien parachever sa définition du spectacle. Grandiose ! «Les peuples se plaisent au spectacle. Par-là , nous tenons leur esprit et leur cÅ“ur», postulait Louis XIV. Ce lundi 25 décembre, c’est en grand mécène royal que Jean-Michel Jarre va animer le château de Versailles de sa faculté à ébahir. À l’occasion des 400 ans de l’ancien relais de chasse devenu fastueux palais, il va présenter au public sa nouvelle «création artistique hybride», Versailles 400. De quoi perpétuer la tradition des fêtes éclatantes du lieu où tous les arts et les nouvelles technologies s’épanouissent depuis la seconde moitié du XVIIe siècle. En l’occurrence, musique électronique et jeux de lumière auront la part belle dans un concert d’une heure au sein de la galerie des Glaces. Disons-le d’emblée, Versailles 400 est plus qu’un des «shows» pharaoniques auxquels nous a habitués le musicien électronique, réunissant les foules de la place de la Concorde à la Grande Muraille de Chine, en passant par les pyramides d’Égypte. Il s’agit d’un tableau immersif en trois dimensions qu’à la fois 600 spectateurs découvriront sur place et que des milliers d’autres visionneront sur une plateforme de réalité virtuelle ou à la télévision*, ainsi que sur différentes plateformes de streaming comme YouTube. «Ces derniers bénéficieront en quelque sorte du meilleur des deux mondes, confie l’artiste au Figaro. L’objectif étant de célébrer le patrimoine de manière innovante, je serai équipé d’un casque qui me permettra tout aussi bien d’être en contact avec le public présent au château qu’avec celui de la galerie des Glaces virtuelle, sous forme d’avatar.» Alors, des extraits vidéo de l’antre baroque reconstitué et du concert capté seront simultanément diffusés. Le tout dans une ambiance proche de l’univers de Lewis Carroll ou de Tim Burton. Pour ce faire, Jean-Michel Jarre a conçu à l’aide de l’intelligence artificielle une série de créations graphiques hautes en couleur. «L’idée était de provoquer des illusions d’optique grâce aux miroirs, souligne-t-il. Plus précisément, l’impression de galeries latérales dans lesquelles se perdre, à la recherche des fantômes de Versailles.» Aussi avant-gardiste soit-il, le projet ne relève presque en rien du galop d’essai. Le 31 décembre 2020, cette fois-ci au moment du réveillon de la Saint-Sylvestre, le musicien prenait les commandes du Studio Gabriel, vêtu d’une combinaison équipée de capteurs, pour mener à bien un concert virtuel au sein de la cathédrale Notre-Dame de Paris, intitulé Welcome to the Other Side («Bienvenue ailleurs»). Celui-ci réunit alors plus de 75 millions de spectateurs, toutes plateformes confondues. Mais aucun n’y assiste en direct. C’est peu dire que l’enjeu de Versailles 400 est de taille. Ainsi que l’explique Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles, «depuis 2006 (date de sa dernière rénovation, NDLR), la galerie des Glaces accueille entre un et deux artistes par an seulement. Car toute l’année, excepté le lundi et les jours fériés, elle est ouverte au public. On y retrouve principalement des concerts de musique classique ou de chant lyrique, qui ne demandent pas du tout la même organisation que celle d’un spectacle comme celui de Jean-Michel Jarre. C’est une grande première!» L’objectif étant de célébrer le patrimoine de manière innovante, je serai équipé d’un casque qui me permettra tout aussi bien d’être en contact avec le public présent au château qu’avec celui de la galerie des Glaces virtuelle, sous forme d’avatar Notons que les équipes de l’artiste ne pourront investir les lieux que la veille de Noël au soir. Durant moins de vingt-quatre heures, elles devront parachever la configuration logistique de l’événement qui, depuis plusieurs jours, est en préparation dans un hangar de la banlieue sud de Paris, à Longjumeau. En coulisses, Jarre y élabore une scénographie double, virtuelle et réelle. Il dévoile: «La scène se situera au centre de la galerie et le public de part et d’autre de l’estrade. Plutôt que de donner l’impression qu’il y a un avant et un arrière, tout l’enjeu sera de montrer qu’il y a deux avants.» Ainsi, l’assistance, priée de bien vouloir se vêtir exclusivement en rouge et noir, entrera en communion avec l’équilibre de la conception graphique. Paysages lunaires représentés à la manière de Gustav Klimt, châteaux ambulants à la Miyazaki, portraits de robots dignes de Hyacinthe Rigaud… Tous ces éléments visuels, d’un côté projetés et de l’autre modélisés, accompagneront les réarrangements des morceaux les plus populaires de son répertoire, d’Oxygène à Oxymore, en passant par Équinoxe. De même, une réorchestration, façon Wendy Carlos, de la Marche pour la cérémonie des Turcs de Lully sera jouée pour l’occasion. La qualité sonore, quant à elle, est assurée par cinq «masterings» différents: un pour le direct, un pour la réalité virtuelle, et trois autres pour différentes plateformes de streaming! Tenant compte des ajustements liés à l’acoustique particulière de la galerie des Glaces, on imagine volontiers l’ingénieur du son en cure de paracétamol. Depuis la fin de sa construction entre 1678 et 1684, sous la direction de l’architecte Jules Hardouin-Mansart, nombreux sont ceux à avoir foulé le parquet de cette galerie de 73 mètres de long, constellée d’or et de 357 miroirs. Symbole de la supériorité de l’industrie miroitière française sur les manufactures vénitiennes de l’époque, elle est à l’origine un lieu de passage et de rencontres pour les courtisans et les visiteurs du palais royal. Ces derniers pouvaient admirer la magnificence de l’endroit et, par-là même, du royaume. Aussi, la galerie des Glaces accueillait exceptionnellement des réceptions diplomatiques telles celle du doge de Gênes en 1685, des grands bals, ainsi que des divertissements artistiques. Sous Louis XV, les concerts de son épouse, Marie Leszczynska, composés d’extraits d’opéras dont un ou deux actes étaient joués à chaque séance, marquèrent de leur sceau la vie musicale de Versailles. On retient aujourd’hui de l’endroit sa dimension politique avec la visite de la reine Victoria en 1855, la proclamation de l’Empire allemand en 1871, la signature du traité de paix de 1919, ou encore les nombreux dîners de gala donnés par la République en l’honneur d’invités de marque – le 20 septembre dernier encore, le roi Charles III et son épouse y étaient conviés par Emmanuel Macron. Mais on oublie souvent que les arts s’y déploient toujours. En 2008, c’est à grand bruit que l’Américain Jeff Koons présentait Moon, un miroir en acier poli pensé pour réfléchir son environnement, et que, deux ans plus tard, le Japonais Takashi Murakami dévoilait ses marguerites au sourire béat. Alors président du château de Versailles, Jean-Jacques Aillagon soutenait: «La présence du contemporain dans les musées est une excellente chose. (…) La galerie des Glaces n’est finalement qu’une sorte de manga, une bande dessinée à la gloire du règne du roi.» Tour à tour décor de cinéma, de défilé de mode – en 2021, Dior y fit tourner la chanteuse Rihanna dans une publicité -, le lieu établit un pont entre le passé et le présent. Ce qui n’est pas pour déplaire à Laurent Brunner. Pour célébrer les 400 ans du château, Catherine Pégard et moi voulions un artiste français de renommée internationale, qui incarne un certain avant-gardisme «La modernité va très bien à Versailles, affirme-t-il. En témoigne notre programmation musicale, qui met à l’honneur différents styles, correspondant à différentes époques. Pour célébrer les 400 ans du château, Catherine Pégard et moi voulions un artiste français de renommée internationale, qui incarne un certain avant-gardisme. » Jean-Michel Jarre est apparu comme l’hôte idéal. Dans un premier temps sur le plan musical. Lui qui, le 18 décembre 1978, confiait au Figaro: «Je fais mienne la définition de Satie: j’écris de la musique d’ameublement», a depuis lors intégré les rangs très serrés de la musique «sérieuse» qui a toute sa place en terres yvelinoises. Depuis 2019, le festival Versailles Electro fait vibrer les jardins du château, où chaque année se massent des milliers de clubbeurs. Mais, pour gagner l’enceinte du prestigieux monument, encore faut-il aller au-delà du simple divertissement. Au même titre que les multiples innovations artistiques et technologiques présentées là même, comme les premiers ancêtres des robots au XVIIIe siècle, Versailles 400 promet de perpétuer la tradition d’un visionnarisme à la française. En faisant notamment la lumière sur notre savoir-faire national. À commencer par le casque autonome de réalité mixte de l’entreprise Lynx, capable d’ajouter des éléments virtuels au monde réel, que Jean-Michel Jarre portera sur scène. C’est ensuite sur la plateforme de la start-up perpignanaise VRrOOm, spécialisée dans les événements culturels, que le concert aura virtuellement lieu. Ainsi que l’expliquait dans nos colonnes Louis Cacciuttolo, son fondateur, l’an passé: « L’idée est de devenir le YouTube du métavers, c’est-à -dire un lieu où l’on peut regarder du contenu mais aussi le créer grâce à nos outils.» «Primordial!», selon le musicien, également président de la commission création immersive du CNC (Centre national du cinéma), dont le rôle est de «favoriser l’émergence d’Å“uvres immersives créatives, ambitieuses et tournées vers l’international». Après soumission de projet par la société de production de Versailles 400, Edda, et délibération en l’absence de Jean-Michel Jarre, ainsi que nous le confirment le CNC et le président en question, celle-ci a financé à hauteur de 110.000 euros le concert immersif du 25 décembre. Et ce, comme elle a pu le faire pour l’expérience immersive itinérante Entrez dans la danse , présentée au Palais de Chaillot, en juin dernier. «Il y a urgence à développer notre souveraineté sur cet écosystème afin de ne pas être inféodés au soft power américain ou chinois, martèle Jarre. Il y va de notre autonomie culturelle.» Que ce soit dans le champ de la réalité virtuelle, augmentée, ou dans celui de l’intelligence artificielle, ces technologies représentent une extension du domaine de l’imaginaire. Et contribuent, selon lui, à repenser la relation entre un artiste et son public: «Depuis le Covid et dans un contexte sécuritaire tendu, il est impossible de concevoir des projets avec l’innocence du passé. La réalité virtuelle nous permet de dépasser cela, d’augmenter nos interactions – en répétitions par exemple – et d’élargir notre public.» En l’occurrence, de rendre accessibles les concerts aux personnes isolées pour des raisons géographiques ou de handicap, partout dans le monde. Et d’ouvrir les portes d’un autre monde. «Il n’y a pas besoin de formation préalable pour écouter Jean-Michel Jarre, tout comme il n’y a pas besoin de connaître l’architecture pour apprécier Versailles», formule-t-on dans les couloirs du château. Dans la galerie des Glaces du château de Versailles, Jean-Michel Jarre repousse les frontières du réel La star est toujours célébrée par plusieurs compagnies, dont le Ballet de l’Opéra de Paris. Mais son geste, affûté et précis, se perd à mesure que ceux qui l’ont côtoyé se retirent. À tout moment, vous pouvez modifier vos choix via le bouton “paramétrer les cookies†en bas de page.
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Ebene Mediadécembre 26, 202310 Mins read
Dans la galerie des Glaces du château de Versailles, Jean-Michel Jarre repousse les frontières du réel
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Dans la galerie des Glaces du château de Versailles, Jean-Michel Jarre repousse les frontières du réel
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