La diffusion d’un traité de démonologie, bien aidé par la nouvelle technologie mise au point par Gutenberg, est à l’origine d’innombrables persécutions sur des femmes accusées de sorcellerie.
Du XVe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, près de 90.000 femmes ont été arrêtées en Europe, condamnées et pour une bonne partie d’entre elles exécutées, brûlées vives, jetées du haut de falaises, lapidées, noyées… Un tel déchaînement de violence, sur un temps aussi long, est évidemment le résultat de plusieurs facteurs, religieux, sociaux, mais aussi technologiques. Il pourrait découler d’un élément déclencheur: la publication d’un livre, une «bible de démonologie» appelée Malleus Maleficarum (Le Marteau des Sorcières) et publiée dès 1486 grâce à une invention récente pour l’époque, l’imprimerie.
S’il ne devait en rester qu’un, ce traité de démonologie –écrit par deux moines dominicains et inquisiteurs, Henri Institoris et Jacques Sprenger– serait le bon. Il avait pour but d’expliquer la sorcellerie, de fournir une méthode pour la repérer, puis pour juger les sorcières, tout cela au nom de Dieu, bien sûr. Une étude publiée le 27 septembre dans la revue Theory and Society et relayée par le média en ligne britannique IFLScience révèle que l’ouvrage doit son importance capitale dans la frénétique chasse aux sorcières de l’époque à l’invention de l’imprimerie, près trois décennies ans plus tôt (vers 1454).
«Communément appelée “chasse aux sorcières”, cette éruption de persécutions est intrigante, car la croyance en la sorcellerie existait depuis des siècles, mais la chasse aux sorcières à grande échelle est apparue de manière plutôt soudaine, s’est largement répandue et a été remarquablement brutale par rapport au passé», écrivent les chercheurs américains derrière cette étude. Un changement brusque qui coïncide selon eux avec l’apparition du Malleus Maleficarum, qui redéfinit la sorcellerie et en élargit les acceptations. Désormais, elle représente toute «activité conspiratrice contre une société pieuse et non comme de simples méfaits commis par des villageoises, des païennes ou des paysannes ignorantes.»
Une fois paru, le livre connaît son petit succès. Papes et empereurs le lisent et participent à sa diffusion, tout en facilitant théologiquement et juridiquement les actions contre les femmes accusées, ouvrant ainsi la voie aux persécutions. Le guide devient vite un petit manuel à l’usage des inquisiteurs, certains s’improvisant même experts dudit texte et proposant de superviser les chasses aux sorcières. Les calendriers de procès en sorcellerie consultés par les auteurs de l’étude sont clairs: dans 553 villes d’Europe centrale, entre 1400 et 1679, on peut constater un pic d’accusations en démonologie correspondant à chaque nouvelle publication du manuel.
Malleus Maleficarum, Henri Institoris et Jacques Sprenger, Lyon, 1669. | Domaine public via Wikimedia Commons
Voisins vigilants
«Les villes plus proches dans le temps et l’espace de la publication du Malleus Maleficarum étaient plus susceptibles de commencer des procès pour sorcellerie», indiquent les chercheurs. Par capillarité, les villes entretenant des relations étroites avec des régions où avaient lieu des procès étaient également plus enclines à lancer elles-mêmes leur propre chasse aux sorcières. Les auteurs en concluent que cette épidémie de violence s’est diffusée en Europe par un processus de «diffusion des idées», chaque région adoptant les pratiques des régions voisines. «De cette manière, l’obsession pour la sorcellerie s’est répandue par vagues à travers l’Europe, avec le Malleus Maleficarum comme épicentre de chacune de ces vagues», résume IFLScience.
«Les villes ne prenaient pas ces décisions de manière isolée, précise Kerice Doten-Snitker, chercheuse à l’Institut de Santa Fe (Nouveau-Mexique) et coautrice de l’étude, dans un communiqué. Elles observaient ce que faisaient leurs voisines et s’inspiraient de ces exemples. La combinaison de nouvelles idées issues des livres et de l’influence des procès voisins a créé les conditions idéales pour que ces persécutions se propagent.» Quid des autres facteurs communément avancés pour expliquer un tel déferlement de violence sur une période si longue? La sociologue médiéviste est plus dubitative.
Les épidémies, désastres environnementaux et autres conflits religieux semblent n’avoir que peu de corrélation avec les pics des procès de sorcières. En revanche, deux ans seulement après l’apparition du livre, il avait déjà été adopté par les autorités de Nuremberg, en Allemagne, qui l’utilisaient pour mener à bien leur traque aux sorcières dans la région.
«Le processus d’adoption des procès pour sorcellerie n’est pas si différent de la manière dont les gouvernements modernes adoptent de nouvelles politiques aujourd’hui, estime Kerice Doten-Snitker. Cela commence souvent par un changement d’idées, qui se renforce grâce aux réseaux sociaux. Au fil du temps, ces idées s’enracinent et modifient le comportement de sociétés entières.» Merci Gutenberg (et désormais Elon Musk).
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