Pour sa 75e édition, le Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence présente pour la première fois l’«Opéra de quat’sous» de Kurt Weill et Bertolt Brecht, intégralement interprété par les comédiens et comédiennes et acteurs de la Comédie-Française. Rencontre, à vingt-quatre heures de la première En quelques années, le comédien français Benjamin Lavernhe s’est imposé comme une personnalité incontournable aussi bien du plateau de la Comédie-Française, dont il est pensionnaire depuis 2012, que du grand écran. Révélé par Un Beau Dimanche de Nicole Garcia, il a dernièrement enchaîné les tournages: Le Discours de Laurent Thierard, Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal, et récemment Jeanne du Bary. Il incarne également l’abbé Pierre dans un biopic de Frédéric Tellier annoncé pour novembre. Mais si on le rencontre au Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, c’est pour parler d’opéra. Benjamin Lavernhe: Au départ, effectivement, planait ce complexe vis-à-vis du public, car nous n’avons pas le niveau vocal des autres artistes du festival. Néanmoins, avec tout le travail que nous avons fait en amont, on ne se débrouille pas si mal! Il ne faut pas oublier que Brecht a écrit l’Opéra de quat’sous pour des comédiens et Thomas Ostermeier, le metteur en scène allemand, nous l’a beaucoup répété. Quat’sous est un anti-opéra qui ne possède pas la dramaturgie traditionnelle du genre. Il oscille sans cesse entre le parler et le chanter, ce qui nous rend légitime en tant qu’acteur à nous emparer de la pièce. Pas bien. Quand on est sur les bancs de l’école, Brecht est l’un des grands auteurs auxquels on se confronte, mais sa langue est parfois compliquée. J’avais ainsi abordé quelques scènes de Quat’sous au cours Florent, notamment celles entre Mackie et Lucie et travaillé Sainte Jeanne des Abattoirs, que j’avais trouvé très difficile à lire. Les traductions des pièces de Brecht parfois vieillottes n’en facilitent pas la lecture. Je n’avais donc pas un amour particulier pour lui, mais en me penchant dessus pour Quat’sous et en travaillant avec Thomas Ostermeier, qui connaît très bien cet auteur, je suis entré dans cet univers. En Allemagne, cet opéra est un peu leur Cyrano de Bergerac. On est donc très en confiance de faire cette œuvre avec lui. Thomas Ostermeier nous a apporté beaucoup d’éléments d’un point de vue historique, politique, qui nous a nourris et aidés à comprendre cette œuvre, notamment la dimension de la «distanciation brechtienne». Oui, dans le théâtre de Brecht, il y a une sorte de mise en jeu de la représentation où les comédiens rappellent en permanence au public que nous sommes au théâtre. L’auteur ne veut surtout pas que les personnages de sa pièce soient joués d’un point de vue psychologisant. Ainsi, on raconte une histoire, mais à aucun moment nous n’essayons de faire croire à une fiction réaliste. Dans le monologue de Brown, policier véreux, Ostermeier ne voulait surtout pas que je m’apitoie sur mon sort et que je vive mes états d’âme. C’était assez déroutant au départ, car mes réflexes de comédien et d’acteur vont plutôt du côté de l’émotion. Le travail a été parfois laborieux et ce jeu brechtien s’apprivoise lorsqu’on se concentre sur le rythme du texte et sa vitesse. Et aussi: Eric Ruf: «Avoir des membres de la Comédie-Française au générique d’un film est un atout» Vincent Leterme, le pianiste de la Comédie-Française, nous fait souvent des consultations musicales, on le connaît bien. Il a été présent pour nous faire travailler toute l’année dernière et Alphonse Cemin, pianiste de l’ensemble du Balcon, nous a accompagnés également pour l’apprentissage de nos rôles. Nous étions bien entourés, et tous deux nous ont encouragés à travailler très en amont pour nous sentir libres et gagner vocalement en puissance, en aisance. De mon côté, je n’ai que deux morceaux chantés, le Chant des canons et le Messager du roi à la fin de la pièce. J’étais un peu moins stressé que mes partenaires, mais je vous rassure, j’ai quand même beaucoup travaillé. Nous avons eu des discussions passionnantes avec Maxime Pascal, le chef d’orchestre à propos du phrasé et de la prosodie. Savoir comment passer du parler au chanter pour que cela ne fasse pas comme dans un Disney avec des personnages qui tout à coup se mettent à chanter de manière déconnectée avec ce qui précède. Une relation un peu inquiète, car j’ai une voix puissante, mais fine. Comme je suis volontaire, je peux facilement faire sauter le vernis et me la casser, ce qui me frustre. Je la travaille donc en permanence. Quand je joue Les Fourberies de Scapin, je dois pouvoir hurler pour les nécessités du rôle. Avoir la voix cassée pour un comédien, c’est terrible, on perd son pouvoir. Quand cela m’arrive, cela me rend malade et me vexe terriblement. Je retourne alors en cours de chant, je cherche d’autres avis. Dans Quat’sous, typiquement, j’ai mon grand morceau chanté à la fin de la pièce. Il faut qu’en amont je sois dans l’ultra-maîtrise lorsque mon personnage est en colère, pour ne pas serrer la voix. De ce point de vue là, nous ne sommes pas égaux; certains comédiens ont des cordes en acier et ne se pètent jamais la voix. Moi, je dois faire gaffe. J’ai des mauvais réflexes, même avec quinze années d’expérience.
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