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Abandon de Kherson par les forces russes : le choix difficile de Sourovikine

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General Sourovikine


Par Big Serge – 12 novembre 2022

En janvier 1944, la Sixième Armée allemande nouvellement reconstituée se trouve dans une situation opérationnelle cataclysmique dans le coude sud du Dniepr, dans la région de Krivoi Rog et de Nikopol. Les Allemands occupent un dangereux saillant, qui s’avance de façon précaire dans les lignes de l’Armée rouge. Vulnérable sur deux flancs et face à un ennemi supérieur en hommes et en puissance de feu, tout général digne de ce nom aurait cherché à se retirer le plus rapidement possible. Dans ce cas, cependant, Hitler insiste pour que la Wehrmacht tienne le saillant, car la région est la dernière source de manganèse de l’Allemagne, un minerai crucial pour la fabrication d’acier de haute qualité.

Un an auparavant, dans les premières semaines de 1943, Hitler était intervenu dans une autre bataille, plus célèbre, en interdisant à la précédente incarnation de la Sixième Armée de sortir d’une poche qui se formait autour d’elle à Stalingrad. Soumise à l’interdiction de se retirer, la Sixième Armée a été anéantie en bloc.

Dans ces deux cas, il y avait un conflit entre la prudence militaire pure et les objectifs et besoins politiques plus larges. En 1943, il n’y avait aucune raison militaire ou politique impérieuse de maintenir la Sixième Armée dans la poche de Stalingrad : l’intervention politique dans la prise de décision militaire était à la fois insensée et désastreuse. En 1944, cependant, Hitler (aussi difficile soit-il de l’admettre) avait un argument valable. Sans le manganèse de la région de Nikopol, la production de guerre allemande était condamnée. Dans ce cas, une intervention politique était peut-être justifiée. Laisser une armée dans un saillant vulnérable est mauvais, mais manquer de manganèse l’est également.

Ces deux destins tragiques de la Sixième armée illustrent la question essentielle qui se pose aujourd’hui : comment faire la différence entre la décision militaire et la décision politique ? Plus précisément, à quoi attribuer la décision choquante de la Russie de se retirer de la rive ouest du Dniepr dans l’oblast de Kherson, après l’avoir annexée il y a quelques mois à peine ?

J’aimerais examiner cette question en détail. Tout d’abord, on ne peut nier que ce retrait constitue une humiliation importante pour la Russie sur le plan politique. La question est toutefois de savoir si ce sacrifice était nécessaire pour des raisons militaires ou politiques, et ce qu’il peut signifier quant à l’évolution future du conflit.

À mon avis, le retrait de la rive ouest de Kherson doit être motivé par l’une des quatre possibilités suivantes :

L’armée ukrainienne a vaincu l’armée russe sur la rive ouest et l’a repoussée au-delà du fleuve.

La Russie tend un piège à l’armée ukrainienne en l’attirant à Kherson.

Un accord de paix secret (ou au moins un cessez-le-feu) a été négocié, qui prévoit de rendre Kherson à l’Ukraine.

La Russie a fait un choix opérationnel politiquement embarrassant mais militairement prudent.

Passons simplement en revue ces quatre possibilités et examinons-les dans l’ordre.

Possibilité 1 : Défaite militaire

La reconquête de Kherson est célébrée par les Ukrainiens comme une victoire. La question qui se pose est de savoir de quel type de victoire il s’agit : politique/optique ou militaire ? Il devient trivialement évident qu’il s’agit du premier type. Examinons quelques faits.

Tout d’abord, pas plus tard que le matin du 9 novembre, soit quelques heures avant l’annonce du retrait, certains correspondants de guerre russes exprimaient leur scepticisme quant aux rumeurs de retrait, car les lignes défensives avancées de la Russie étaient totalement intactes. Il n’y avait aucun semblant de crise parmi les forces russes dans la région.

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Deuxièmement, l’Ukraine ne menait aucune offensive intense dans la région au moment où le retrait a commencé, et les responsables ukrainiens ont exprimé leur scepticisme quant à la réalité même de ce retrait. En fait, l’idée que la Russie tendait un piège provient de responsables ukrainiens qui ont apparemment été pris au dépourvu par le retrait. L’Ukraine n’était pas prête à poursuivre ou à exploiter, et a avancé prudemment dans le vide après le départ des soldats russes. Même après le retrait de la Russie, les Ukrainiens avaient manifestement peur d’avancer, car leurs dernières tentatives de franchir les défenses de la zone ont fait de nombreuses victimes.

Dans l’ensemble, le retrait de la Russie a été mis en œuvre très rapidement avec une pression minimale de la part des Ukrainiens : ce fait même est à la base de l’idée qu’il s’agit soit d’un piège, soit du résultat d’un accord conclu en coulisses. Dans un cas comme dans l’autre, la Russie a simplement traversé la rivière sans être poursuivie par les Ukrainiens, subissant des pertes négligeables et récupérant pratiquement tout son matériel (jusqu’à présent, un T90 en panne est la seule capture ukrainienne digne d’intérêt). Le résultat net sur le front de Kherson reste un fort déséquilibre de pertes en faveur de la Russie, qui se retire une fois de plus sans subir de défaite sur le champ de bataille et avec ses forces intactes.

Possibilité 2 : C’est un piège

Cette théorie est apparue très rapidement après l’annonce du retrait. Elle est le fait d’officiels ukrainiens qui ont été pris au dépourvu par l’annonce, et a ensuite été reprise (ironiquement) par les partisans russes qui espéraient que l’on jouait aux échecs 4D, ce qui n’est pas le cas. La Russie joue aux échecs 2D standard, qui est la seule sorte d’échecs qui existe, mais nous y reviendrons plus tard.

La signification exacte de « piège » n’est pas claire, mais je vais essayer de combler les lacunes. Il y a deux interprétations possibles de ce terme : 1) une manœuvre conventionnelle sur le champ de bataille impliquant une contre-attaque opportune, et 2) une sorte de mesure non conventionnelle comme l’usage d’une arme nucléaire tactique ou la rupture d’un barrage et ses conséquences en cascade.

Il est clair qu’aucune contre-attaque n’est prévue sur le champ de bataille, pour la simple raison que la Russie a fait sauter les ponts derrière ses troupes. Comme il n’y a plus de forces russes sur la rive ouest et que les ponts ont été détruits, aucune des deux armées n’a la capacité immédiate d’attaquer l’autre en force. Bien sûr, elles peuvent se bombarder mutuellement par-delà le fleuve, mais la ligne de contact réelle est gelée pour l’instant.

Il reste donc la possibilité que la Russie ait l’intention de faire quelque chose de non conventionnel, comme utiliser une arme nucléaire à faible rendement.

L’idée que la Russie ait attiré l’Ukraine à Kherson pour déclencher une bombe nucléaire est… stupide.

Si la Russie voulait utiliser une arme nucléaire contre l’Ukraine (ce qui n’est pas le cas, pour les raisons que j’ai exposées dans un article précédent), il n’y a aucun motif raisonnable pour qu’elle choisisse une capitale régionale qu’elle a annexée comme site pour le faire. La Russie ne manque pas de systèmes de livraison. Si elle voulait atomiser l’Ukraine, elle ne prendrait tout simplement pas la peine d’abandonner sa propre ville et d’en faire le site de l’explosion. Elles atomiserait simplement l’Ukraine. Ce n’est pas un piège.

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Troisième possibilité : un accord secret

Cette hypothèse est née de la nouvelle selon laquelle le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a été en contact avec son homologue russe, et plus particulièrement du fait que la Maison-Blanche a fait pression en faveur des négociations. Selon une variante présumée de l’ « accord Sullivan », l’Ukraine reconnaîtrait les annexions russes à l’est du Dniepr, tandis que la rive ouest de Kherson reviendrait sous le contrôle de Kiev.

Je trouve cela peu probable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, un tel accord représenterait une victoire russe extrêmement pyrrhique : s’il permettrait de libérer le Donbass (l’un des objectifs explicites de l’OMU), un tel accord laisserait l’Ukraine largement intacte et suffisamment forte pour être une éternelle épine dans le pied de la Russie, en tant qu’État hostile intrinsèquement anti-russe. Le problème de l’intégration future probable de l’Ukraine dans l’OTAN subsisterait, et, surtout, la Russie cèderait ouvertement une capitale régionale nouvellement annexée.

Du côté ukrainien, le problème est que la récupération de Kherson ne fait que renforcer la (fausse) perception à Kiev qu’une victoire totale est possible, et que la Crimée et le Donbass peuvent être entièrement récupérés. L’Ukraine bénéficie d’une série d’avancées territoriales et a l’impression de pousser sa fenêtre d’opportunité.

Ultimement, il ne semble pas y avoir d’accord qui satisfasse les deux parties, et cela reflète que l’hostilité innée entre les deux nations doit être résolue sur le champ de bataille. Seul Ares, Dieu de la guerre, peut trancher ce différend.

Du reste, Ares a travaillé dur à Pavlovka.

Alors que le monde était concentré sur le changement de mains relativement peu sanglant à Kherson, la Russie et l’Ukraine ont livré une bataille sanglante pour Pavlovka, et la Russie a gagné. L’Ukraine a également tenté de briser les défenses russes dans l’axe de Svatove, et a été repoussée avec de lourdes pertes. En fin de compte, la principale raison de douter des nouvelles d’un accord secret est le fait que la guerre se poursuit sur tous les autres fronts, et que l’Ukraine perd. Cela ne laisse qu’une seule option.

Possibilité 4 : un choix opérationnel difficile

Ce retrait a été subtilement signalé peu après que le général Sourovikine ait été chargé de l’opération en Ukraine. Lors de sa première conférence de presse, il a fait part de son mécontentement concernant le front de Kherson, qualifiant la situation de « tendue et difficile » et faisant allusion à la menace de voir l’Ukraine faire sauter les barrages sur le Dniepr et inonder la région. Peu après, le processus d’évacuation des civils de Kherson a commencé.

Voici ce que je pense que Sourovikine a décidé à propos de Kherson.

Kherson était en train de devenir un front inefficace pour la Russie en raison des contraintes logistiques liées à l’approvisionnement des forces à travers le fleuve avec une capacité limitée de ponts et de routes. La Russie a démontré qu’elle était capable d’assumer cette charge de soutien (en maintenant l’approvisionnement des troupes tout au long des offensives estivales de l’Ukraine), mais la question est 1) dans quel but, et 2) pour combien de temps.

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Idéalement, la tête de pont devient le point de départ d’une action offensive contre Nikolayev, mais le lancement d’une offensive nécessiterait le renforcement du groupement de forces à Kherson, ce qui augmente d’autant le fardeau logistique de la projection de forces à travers le fleuve. Avec un front très long à maîtriser, Kherson est clairement l’un des axes les plus intensifs sur le plan logistique. Je pense que Sourovikine a pris les commandes et a presque immédiatement décidé qu’il ne voulait pas augmenter la charge de soutien en essayant de pousser sur Nikolayev.

Par conséquent, si une offensive ne doit pas être lancée à partir de la position de Kherson, la question qui se pose est la suivante : pourquoi conserver cette position ? Politiquement, il est important de défendre une capitale régionale, mais militairement, la position n’a aucun sens si l’on ne passe pas à l’offensive dans le sud.

Soyons encore plus explicites : à moins qu’une offensive vers Nikolayev ne soit prévue, la tête de pont de Kherson est militairement contre-productive.

Tant que la tête de pont de Kherson est maintenue, le Dniepr devient un multiplicateur de force négatif, augmentant le fardeau du maintien en puissance et de la logistique et menaçant constamment de couper les forces si l’Ukraine parvient à détruire les ponts ou à faire sauter le barrage. La projection de forces à travers le fleuve devient un lourd fardeau sans avantage évident. Mais en se retirant sur la rive est, le fleuve devient un multiplicateur de force positif en servant de barrière défensive.

Dans un sens opérationnel plus large, Sourovikine semble décliner la bataille dans le sud tout en se préparant dans le nord et dans le Donbass. Il est clair qu’il a pris cette décision peu de temps après avoir pris le commandement de l’opération : il y a fait allusion depuis des semaines, et la rapidité et la propreté du retrait suggèrent qu’il a été bien planifié, longtemps à l’avance. Le retrait à travers la rivière augmente considérablement l’efficacité de combat de l’armée et diminue la charge logistique, libérant des ressources pour d’autres secteurs.

Cela correspond à la tendance générale des Russes à faire des choix difficiles en matière d’allocation des ressources, à mener cette guerre dans le cadre simple de l’optimisation des ratios de pertes et à construire le hachoir à viande parfait pour décimer les troupes ukrainiennes à distance. Contrairement à l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale, l’armée russe semble être libérée de toute interférence politique pour prendre des décisions militaires rationnelles.

En ce sens, le retrait de Kherson peut être considéré comme une sorte d’anti-Stalingrad. Au lieu que l’interférence politique paralyse l’armée, nous avons l’armée libérée pour faire des choix opérationnels, même au prix de l’embarras des personnalités politiques. Et c’est, en fin de compte, la manière la plus intelligente, bien qu’optiquement humiliante, de mener une guerre.

Source : bigserge.substack.com

Traduction : lecridespeuples.fr

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