Vladimir Poutine et le Premier ministre indien Narendra Modi en 2016. © Kremlin.ru


Par Guy Mettan, journaliste indépendant

Les changements tectoniques qui ont secoué le monde depuis février dernier sont fascinants à observer (si vous n’êtes pas directement impliqué, bien sûr). Le crochet de la grande mondialisation se referme alors que la planète tend à se scinder en blocs plus ou moins hostiles, aux frontières mouvantes, et que de nouvelles formes de solidarité et de collusion souvent surprenantes émergent.

Par exemple, nous avons vu l’Inde et la Chine, qui mènent une guerre frontalière brutale dans l’Himalaya, se rassembler contre la pression politique occidentale et refuser de prendre des sanctions contre la Russie. Depuis les accords Poutine-Modi de l’an dernier, l’Inde s’est même présentée comme un partenaire enthousiaste de Moscou. Ces derniers mois, après des menaces d’embargo européen (confirmées cette semaine), New Delhi est même devenu l’un des plus gros acheteurs de charbon et de pétrole russes. Même commentaire pour le monde arabe, dont l’Arabie saoudite et les Émirats, qui ont tous refusé de prêter allégeance à l’Occident.

Les routes commerciales habituelles, notamment énergétiques, seront complètement bouleversées. Avec la fermeture des oléoducs russo-européens, le pétrole – et le gaz dans un avenir proche – devra parcourir le monde pour atteindre sa destination, de l’ouest des États-Unis à l’Europe, et du nord de la Sibérie à l’océan Indien. . Quand les passions l’emportent sur la raison, le coût et l’écologie n’ont plus d’importance…

Avec le départ de la Russie du Conseil baltique, transformé en lac européen et de l’Otan, Moscou confirme sa grande course vers l’Est, celle-là même que Barack Obama avait annoncée et regrettée en 2011. Les ports scandinaves, baltes, polonais et allemands seront touchés. Grand gagnant : le commerce en mer Noire et en Méditerranée orientale. En bloquant l’accès de l’Ukraine à la mer Noire et en prenant le contrôle du commerce du pétrole et du blé dans la région, la Russie renforcera son flanc sud, ainsi que la Turquie et l’Égypte par le canal de Suez. , s’appuyant sur ses bases de Tartous, Port-Saïd et Port-Soudan et fragilisant la région nordique.

Les choix faits par l’Ukraine, qui depuis 2014 a tout tourné vers l’Europe et rompu ses liens économiques avec l’Asie orientale et centrale en annulant ses accords économiques avec la Communauté des États indépendants de l’ex-URSS, ont accentué cette tendance. Sur un plan plus global, comme le souligne un observateur britannique en Chine*, l’Europe a gagné un millier de kilomètres à l’est, fixant ses nouvelles frontières sur une ligne qui descend de la Finlande à la Bulgarie et coupe l’Ukraine. Mais en même temps, elle a perdu 9 000 kilomètres au profit de la Russie. Depuis longtemps, l’Europe ne s’étend plus du Portugal à l’Oural, et encore moins de Lisbonne à Vladivostok.

Au contraire, et quelle que soit l’issue de la guerre en Ukraine, on peut être sûr que l’Est vient d’avancer de 9 000 kilomètres vers l’Ouest. Si la Russie gagne la guerre, un certain équilibre sera maintenu entre l’Europe et la Chine. Si elle le perd, elle risque de tomber sous la coupe de Pékin. Mais dans les deux cas, l’Europe sera perdante sur le long terme.

Guy Mettan

* Chris Devonshire-Ellis, personne ne l’a remarqué, mais l’Asie s’est déplacée de 9 000 km vers l’ouest, Asia Briefing, 23 maird2022